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de messageries et d’un chapeau-claque semblable en tout à celui de nos officiers d’état-major, et qu’ils posent fort en arrière. De cols et de chaussures, il n’en faut point parler. Le gouverneur seul, et sa haute position explique ce faste, se permet l’usage des bottes. L’habit déboutonné des aides-de-camp permettait de voir leur chemise de couleur ouverte et pendante sur la poitrine.

Le duc de Léogane ne se piquait pas de plus de tenue que ses officiers. Son habit, surchargé, écrasé de passementeries d’or, gisait sur un fauteuil ; mais, pour témoignage de sa grandeur, il avait, je l’ai dit, des bottes aux pieds, et portait en sautoir, sur sa chemise bleue et débraillée, l’ordre de Saint-Faustin tout ruisselant de verreries. À quatre pas de nous et derrière le dignitaire de Soulouque, on voyait, par une porte ouverte, un gros cochon blanc et un dindon noir rôder de compagnie autour du pot-au-feu de notre hôte, qui cuisait dans la salle voisine. Au demeurant, le duc de Léogane, malgré ses ordres et ses broderies, ne manquait pas d’un certain bon sens : il plaignait la France d’être tombée en république !

Peu de jours après cette présentation, et après avoir laissé l’empire de Soulouque préoccupé de la question des couronnes en métal que son autocrate avait commandées en Europe, le Téviot aborda à Chagres. Dès mes premiers pas sur le continent américain, je compris que tout ce qu’on disait en France de la Californie était également vrai, également faux, c’est-à-dire que, dans cette patrie de l’or, rien n’est absolument vrai ni radicalement faux. Ceux-là revenaient chargés de pépites et de poudre d’or, et leurs portefeuilles bourrés de lettres de change tirées sur les meilleures places d’Europe ; ceux-ci passaient mornes et grelottant, traînant après eux la misère et la fièvre. Tous les renseignemens étaient contradictoires, et tous étaient exacts. Des matelots partis avec leurs bras pour toute fortune retournaient dans leur pays natal avec des trésors de nabab ; des négocians qui s’étaient fait suivre de riches cargaisons rentraient chez eux pauvres et dépouillés de tout. Il me parut dès-lors démontré que le hasard régnait et gouvernait en Californie. C’est une conviction que, plus tard, l’expérience a confirmée chez moi.

Le prix du passage de Chagres à Panama par la Gorgona varie chaque semaine, on pourrait dire chaque jour. C’est un jeu de hausse ou de baisse, comme sur la rente au passage de l’Opéra un jour de séance orageuse. Un canot pouvant contenir deux ou trois personnes et quelques colis sur lesquels on dort la nuit coûte, pour transporter les voyageurs de Chagrcs à Gorgona en quarante-huit heures, la distance à parcourir étant de douze à treize lieues, de 25 à 180 piastres (125 à 180 fr.), suivant le nombre et l’empressement des émigrans. Les mules qu’on