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c’est remplacer l’enseignement de l’église par la raison ; c’est aboutir au rationalisme. Mais il y a plus : vous ne vous bornez pas à exagérer les droits de la raison humaine ; vous prétendez qu’elle est un écoulement de la raison éternelle, une émanation, une participation de l’essence de Dieu ; c’est admettre que la raison éternelle est répandue dans nos faibles intelligences, que la nature de Dieu se divise et se partage entre les ames humaines, c’est insinuer que l’homme est une partie de Dieu, c’est aboutir au panthéisme. Voulez-vous éviter le panthéisme et le rationalisme ? voulez-vous combattre à coup sûr la philosophie ? Ne lui accordez rien. N’acceptez d’autre autorité certaine que l’autorité de l’église et de la tradition. C’est la tradition qui nous enseigne le devoir. Dieu, la vie future. Hors de la tradition, il n’y a que l’ignorance absolue ou l’absolu scepticisme. Si quelques grandes vérités morales et religieuses brillent par rares éclairs dans le monde païen, c’est par la tradition qu’elles sont arrivées aux Socrate, aux Aristote et aux Platon. Si les philosophes modernes se sont formés de la Providence et de l’ame des idées si sublimes et si pures, c’est qu’ils ont été baignés à leur insu dans cette lumière surnaturelle que le christianisme a répandue parmi les hommes. Ainsi donc, point de milieu. Le catholicisme est tout, ou il n’est rien. La tradition est la seule règle, ou bien c’est le sens privé : d’un côté, la foi humble et docile ; de l’autre, la négation et la révolte. Soyez donc de vrais et purs catholiques, ou vous tombez dans les derniers abîmes du panthéisme et de l’irréligion.

Telle est la thèse que soutiennent, avec une certaine vigueur et une insistance inouie, les Annales de philosophie chrétienne. On y reconnaît sans peine la vieille thèse de M. de Bonald et de l’abbé de Lamennais, celle qui fait aussi le fond de la polémique d’un journal très connu, l’Univers.

Que répondent M. Maret et ses amis ? D’excellentes choses. Quant aux expressions dont ils se sont servis pour désigner les personnes de la Trinité et la création, ils les expliquent dans un sens orthodoxe, ou les retirent ; mais, sur le fond de la question, ils prouvent très solidement qu’un traditionalisme exclusif est une chose très dangereuse, qu’avant eux tous les plus grands docteurs de l’église, les théologiens les plus autorisés, ont fait une certaine part à la raison ; que les livres saints eux-mêmes reconnaissent une loi naturelle et une religion innée[1] ; qu’il est étrange, quand on invoque la tradition, de vouloir changer sur un point si grave la constante tradition de l’église ; que nier les droits de la raison et toute certitude naturelle, c’est livrer

  1. Voyez la thèse de docteur récemment soutenue en Sorbonne par M. l’abbé Maret, et qui est devenue l’objet d’une vive polémique entre les journaux du clergé.