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pas à charger du gouvernement la classe la moins éclairée de la société. Les ouvriers, dit-elle, sont beaucoup plus capables que les esprits cultivés. Et pourquoi cela ? Parce que les classes éclairées ont été gâtées depuis trois siècles par l’éducation métaphysique.

Tous les esprits sont frappés du grave inconvénient qui résulte de l’excès de la centralisation politique, je veux dire : la suprématie des grandes villes et surtout la dictature de Paris. Que fait l’école positive ? Elle déclare qu’il appartient essentiellement aux grandes villes de disposer du pouvoir exécutif. Elle charge Paris de gouverner la France et fait gouverner Paris lui-même par trois prolétaires éminens[1].

Voilà, dira-t-on, le beau idéal de la tyrannie. N’est-il pas à craindre qu’un tel pouvoir ne se perde par sa force même ? Ne lui faudrait-il pas des contre-poids ? L’école positive en a trouvé un, et lequel ? Les clubs[2] ; oui, les clubs. L’école positive est passionnée pour cet instrument de gouvernement. Elle le préfère à tout, même à la presse, chose trop abstraite, dit-elle avec une adorable naïveté ; même au suffrage universel, par cette raison décisive que « les prolétaires tiennent moins au droit de suffrage qu’au droit de club. » On dira : Ce plan n’est, après tout, que le régime de 93, la dictature du comité de salut public appuyée sur le club des jacobins. L’école positive accepte cet idéal, mais elle prétend le perfectionner. Elle est en sollicitude pour les départemens, et veut faire quelque chose pour eux ; elle les charge d’administrer les finances de l’état, et, se trouvant en train de libéralisme, elle pousse la bonté jusqu’à reconnaître que les gens aisés sont plus propres que les ouvriers à ces sortes d’affaires, de sorte que, dans cette société-modèle, la bourgeoisie votera le budget, et le prolétariat sera chargé de le dépenser.

On croit rêver en lisant ces folies ; mais voici qui couronne tout : si l’on en croit les philosophes positifs, ce qui met aux prises aujourd’hui la bourgeoisie et le prolétariat, c’est le vice de leur éducation. La bourgeoisie a reçu la détestable éducation métaphysique ; le prolétariat, l’éducation religieuse, plus mauvaise encore. Il faut y substituer une seule éducation uniforme et universelle, l’éducation positive. Qu’est-ce donc ? Une chose admirable, mais très compliquée[3] elle ne comprend pas moins de six grandes sciences. On commencera par les mathématiques, c’est-à-dire par ce qu’il y a au monde de plus abstrait. C’est de ce fait agréable et doux qu’on nourrira l’enfance, c’est avec de l’algèbre qu’on développera son imagination et son cœur. Viendront ensuite l’astronomie, la physique et la chimie, pour préparer ces jeunes

  1. Application de la Philosophie positive, chap. X.
  2. Ibid., page 140. — Rapport à la Société positiviste sur le nouveau gouvernement révolutionnaire, p. 25 et suiv.
  3. Ibid., ch. V. — Rapport déjà cité, p. 16 et suiv.