Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/678

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La lutte semblait terminée, quand tout à coup, vers la fin de la restauration, le sensualisme reparut avec un éclat et une influence extraordinaires. Ce n’était plus la vieille idéologie condillacienne de Garat, de Volney, de Laromiguière ; c’était un sensualisme tout nouveau, sorti des entrailles de notre siècle, approprié à ses tendances, a ses passions, à ses mœurs, un sensualisme tout armé de théories économiques, la main pleine d’utopies sociales, politiques et religieuses : il ne s’appelait pas encore le socialisme, mais c’était bien le socialisme au berceau ; il invoquait les noms de Charles Fourier et de Saint-Simon.

Diverses causes expliquent la naissance et les progrès du saint-simonisme, et d’abord ce développement remarquable d’activité manufacturière et commerciale qui signala. la restauration. Une longue paix après les guerres gigantesques, des institutions libres qui donnaient l’essor aux esprits long-temps comprimés, le progrès des sciences physiques fertilisant l’industrie par mille découvertes merveilleuses. L’attrait d’une science nouvelle conviant les esprits à découvrir les sources de la richesse pour en accroître l’abondance et en faciliter la distribution, voilà un concours d’influences qui préparaient la voie au sensualisme. Ajoutez y le mouvement prodigieux d’ascension imprimé aux classes inférieures par la révolution, la soif de bien-être et d’accroissement en tout genre qui devait résulter de la suppression de toutes les barrières, du nivellement de toutes les classes, et vous n’aurez pas de peine à comprendre la fortune rapide des écoles de Charles Fourier et de Saint-Simon ; car il ne faut pas s’y tromper : bien que le saint-simonisme ait revêtu toutes les formes, parce qu’il a eu toutes les ambitions, bien qu’il se soit annoncé comme une métaphysique nouvelle et une nouvelle religion, — si vous cherchez la réalité des choses sous cet appareil de révélateurs, à travers ces profanations de choses saintes, derrière ces formules d’un panthéisme équivoque, — ce qui se cachait au fond, ce qui faisait la puissance de la secte, ce qui devait lui donner une déplorable popularité et une longue influence, c’était ce mot attrayant, ce mot magique, qui est bien le dernier mot du sensualisme : Réhabilitation de la chair. Voilà le christianisme nouveau de Saint-Simon, voilà cet âge d’or dont il était le prophète, voilà aussi le paradis baptisé par Fourier du nom de phalanstère, et qu’il promettait dès ce monde à ses élus.

La révolution de juillet rompit les digues qui retenaient l’audace des disciples de Saint-Simon. Parmi des imaginations enflammées, au milieu d’un peuple encore ému par le combat et ravi par le triomphe, foule oisive agitée, ivre d’espérance et de nouveautés, cette religion du bonheur terrestre, ce mysticisme à la fois sensuel et démocratique, prêché par des hommes jeunes, éloquens, pleins d’ambition et d’ardeur, excita une curiosité qui ressemblait à de l’enthousiasme, et, ce