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nous ; ils marchaient d’un air fier et martial : « Vous êtes des braves ! » leur disions-nous ; et quand nous vîmes leurs officiers, dont plusieurs, quoique blessés, n’avaient pas voulu se séparer de leur troupe et marchaient péniblement, les uns ayant le bras en écharpe, les autres la tête enveloppée de bandages, alors, mus par ce sentiment de courtoisie chevaleresque qui ennoblit la guerre, nous allâmes à eux et leur serrâmes cordialement la main en les priant de nous tenir pour leurs amis. — j’entrai dans la ville avec quelques officiers ; elle était déserte ; partout les persiennes et les portes étaient fermées ; les dragons du pape étaient encore rangés sur la place. Comme je passais devant le front en faisant caracoler et piaffer mon cheval d’un air triomphant, il glissa sur les dalles, comme pour me punir d’insulter ainsi au vaincu, et peu s’en fallu que je ne me rompisse le cou. J’allai me loger dans un palais de belle apparence ; le maître de la maison était encore si effrayé, qu’il ne parlait qu’en bégayant ; sa femme et ses filles étaient extrêmement pâles. Une bombe avait percé le toit du palais, détruit l’escalier, brisé les meubles et les portes, et fait sauter le plafond d’une des salles.

Je passai une partie de la nuit à porter les ordres du maréchal pour la marche sur Vérone, et le lendemain, 12 juin, je montai à cheval de grand matin, et arrivai au bout de quelques heures à Vérone. Il était temps : j’avais les tendons et les muscles des jambes si enflés et si douloureux, que je ne pouvais presque plus plier les genoux et remuer les pieds. Je m’étendis dans ma chambre sur un paillasson, et me fis mettre de la glace tout le long du corps ; mais l’extrême fatigue, le manque de sommeil et la mauvaise nourriture m’avaient enflammé le sang : je fus pris d’une fièvre violente, et réduit bientôt à un tel degré de faiblesse, que je ne pouvais presque plus me remuer sans l’aide de mon domestique. Chaque jour, ce fidèle serviteur me portait pendant quelques heures sur le balcon de la maison, d’où je pouvais voir mes chevaux courir dans le jardin ; la chaleur était extrême, et je ne respirais qu’un air embrasé. J’était devenu indifférent à tout : je vis sans regret, vers la fin de juillet, l’armée partir pour attaquer les Piémontais ; je pensai à peine que mes camarades allaient trouver l’occasion de se distinguer, de mériter peut-être cette croix de Marie-Thérèse, étoile brillante qui jusqu’alors m’avait ébloui ; cependant je ressentis toute la joie du triomphe, lorsqu’on vint m’annoncer la victoire de Custoza. Enfin, dès que je me sentis la force de me tenir à cheval, je partis pour Milan à petites journées ; la joie de la bonne réception que me fit le maréchal, les preuves d’amitié que me donnèrent beaucoup d’officiers, les soins que me prodigua la famille chez laquelle j’étais en logement, me rétablirent bien vite. J’allai voir le palais Grepi. Les