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les positions qu’elles devaient enlever, il ordonna l’ordre d’attaquer ; un bruit violent et prolongé s’éleva aussitôt, semblable à celui d’une bouffée de vent d’orage ou au bruit de chariots roulans sur un pont de bois. Des nuages de fumée montèrent dans l’air ; le combat s’engageait sur toute la ligne, et les coups de canon se suivaient sans interruption.

À deux heures, le général Hess, chef de l’état-major, m’ordonna d’aller à Montanara, de lui adresser un rapport sur l’état du combat, d’y rester jusqu’à ce que la position fût forcée, et de venir ensuite lui annoncer le résultat. Je pris la route de Montanara et arrivai à nos pièces, qui, rangées sur le chemin, répondaient au feu des canons de la redoute élevée sur la route devant le village ; m’étant jeté à gauche, dans les champs plantés de mûriers et de vignes, j’allai au galop à l’endroit où j’entendais que la fusillade était la plus vive ; j’atteignis ainsi la droite du village.

Le général comte Clam était là, calme et tranquille ; il ordonnait l’attaque des maisons crénelées, et fouettait avec sa cravache les herbes du chemin pendant que les balles volaient de toutes parts. Schestak[1] son aide-de-camp, tomba mort à côté de lui. Alors le comte Clam alla lui-même placer dans le cimetière une batterie de raquettes à la congrève pour incendier le village, et, sautant de larges fossés où beaucoup de blessés s’étaient traînés, il s’avança au milieu des pelotons de nos tirailleurs. En ce moment, le colonel baron Reischach vint à nous le sabre à la main et tout couvert de sang ; il avait, à la tête de ses soldats, emporté d’assaut la première maison fortifiée. Nous nous trouvions devant le flanc droit de la redoute sur laquelle flottait un grand drapeau j’excitai une trentaine d’hommes à me suivre, je voulais entrer le premier dans cette redoute et m’en emparer ; mais, comme je courais à leur tête sur la prairie, le feu redoubla, une grêle de balles vola dans l’air : le capitaine Stiller et plusieurs hommes tombèrent, et les autres, pour se mettre à l’abri, se jetèrent dans un large fossé sur la gauche. Le colonel Reischach arriva alors avec deux compagnies de son régiment ; il brandissait son sabre et marchait à leur tête en criant : Vive l’empereur ! Cependant le feu, qui partait de tous côtés, était si violent, que ses soldats s’arrêtaient, n’osant entrer dans cette cour pour aller enfoncer la porte de la maison ; alors il courut seul jusqu’à cette porte. Pendant que de toutes parts on tirait sur lui et sur moi, qui l’avais suivi. Ses troupes, encouragées par son exemple, s’élancent enfin dans la cour et sautent dans la maison par les fenêtres du rez-de-chaussée ; on

  1. Le lieutenant Schestak était d’une pauvre famille et envoyait à sa mère une partie de sa solde ; avant d’expirer, il dit au comte Clam : « Adieu, mon général ; je vous recommande ma mère. » Le comte Clam a noblement accepté le legs du pauvre Schestak.