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J’avais oublié la veille, après avoir été chez le général d’Aspre, le rendez-vous donné à mon chevau-léger. Celui-ci était arrivé au café militaire, demandant partout où j’étais et fort effrayé pour moi, parce que sur la route les paysans insurgés lui avaient tiré plusieurs coups de fusil ; personne ne m’ayant vu entrer dans la ville, on ne put lui dire où j’étais. Il m’avait cherché toute la nuit dans les casernes, et ne me trouvant pas, il se lamentait en disant que j’étais sûrement tué ; maintenant chacun me félicitait, les uns pour la bonne nouvelle que j’avais apportée, les autres parce qu’ils m’avaient cru mort. La joie était dans chaque regard, l’espérance dans chaque cœur. Radetzky allait venir ; ce nom glorieux valait seul une armée.


III

À cette époque, le bruit circulait généralement à Vérone et dans toute l’Italie que le gouvernement autrichien était décidé à abandonner la Lombardie et le pays de Venise. Les Italiens croyaient ou faisaient semblant de croire que la république était proclamée avec notre assentiment et que les troupes se retiraient par ordre du gouvernement et pour toujours. L’évêque de Mantoue, par exemple, promettait aux Piémontais et espérait obtenir du maréchal Radetzky qu’il abandonnerait la forteresse et lui en remettrait le commandement. La base de toutes les idées de droit et de justice était ébranlée en ce moment ; les Italiens regardaient presque comme un devoir de nous aider à évacuer le pays, et, comme des gens bien élevés qu’ils sont, ils daignaient même montrer quelque regret de nous voir partir. Quelques-uns de nos chefs, débordés par la révolte, avaient eux-mêmes, pour ainsi dire encouragé ces idées en organisant dans les villes d’où ils étaient forcés de retirer les garnisons des gouvernemens provisoires, soit que, ne pouvant dompter l’insurrection, ils voulussent sauver les apparences et laisser croire que c’était de leur consentement que la révolution s’organisait, soit qu’ils voulussent ainsi préserver ces villes rebelles, qu’ils traitaient encore avec générosité, des horreurs de l’anarchie et des excès d’une populace en délire. Cette étincelle de liberté accordée à l’Italie devenait, au souffle de ses passions, une flamme ardente qui allait tout embraser, tout consumer.

Le gouvernement autrichien était si faible, si irrésolu à cette époque, que beaucoup dans l’armée croyaient, comme les Italiens eux-mêmes à l’évacuation prochaine de la Lombardie. Et qu’y a-t-il là d’étonnant ? On habituait ces soldats courageux et fidèles à souffrir toutes les avanies. La garde nationale occupait tous les postes ; les bourgeois nous insultaient de leurs démonstrations guerrières, de leurs cocardes, de leurs écharpes tricolores ; Vienne elle-même était livrée à l’anarchie ;