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déposer les arrhes. Il est signé : général comte Zichy. » Je ne sais comment ce misérable s’y était pris pour obtenir ainsi la signature du comte.

Enfin, un officier de la garde civique vint à moi et me conduisit, à travers plusieurs rues, jusqu’à une grande maison, sur une petite place ; il ouvrit la grille, me dit d’attendre dans le vestibule, et, m’ayant laissé seul, il monta l’escalier. J’avais, pendant le trajet, songé à la possibilité de m’échapper par une des petites rues qui coupaient celles que nous traversions. Je connaissais quelques personnes à Venise, et j’aurais pu me cacher. J’étais seul dans ce vestibule, et, comme je m’appuyais au mur en réfléchissant à la façon, dont tout cela pouvait, finir, je vis, par la porte qui donnait sur l’eau, passer plusieurs gondoles. L’idée me revint de m’évader, et, m’avançant vers l’une d’elles, j’y montai d’un air tranquille. Affectant un grand calme, qui du reste ne trompa pas les gondoliers, je leur ordonnai de me mener augrand canal ; puis, à peine, étions-nous en route, que je leur dis que je désirais aller à Mestre, et leur proposai de m’y conduire. Ces gondoliers étaient fins et rusés comme touts les Italiens : ils voyaient bien que je cherchais à m’évader ; mais pour de l’or ils m’auraient mené en Amérique. Comme nous débouchions du grand canal dans la mer, quelqu’un vit probablement mon manteau blanc, et j’entendis crier du quai : « Un Autrichien qui se sauve ! » En un instant, les deux rives furent couvertes de gens qui criaient : « C’est un officier ! c’est un Autrichien qui se sauve ! Abordez ; à bord, à. bord la gondole ! » Un jeune homme conduisant une patrouille arrivait en ce moment sur le quai ; mes gondoliers furent forcés d’aborder ; ce jeune homme était élégant, avait l’air d’un homme comme il faut ; il mit un pied sur la gondole et me demanda mon permis. Ne sachant que faire, je lui tendis ma carte de courrier il vit bien que cela ne signifiait rien ; mais le danger que je courais lui inspira probablement quelque compassion, et, se retournant vers le peuple : « Tout est en règle, dit-il ; gondolier, en avant ! » Et ce peuple, habitué à l’obéissance, se retira sans mot dire.

Enfin ; j’étais hors de Venise ! Nous longeâmes l’immense pont du chemin de fer, et je vis une locomotive couverte de drapeaux tricolores arriver au débarcadère ; elle apportait, comme je l’ai su ensuite, de fausses nouvelles ; pour entretenir l’effervescence de la révolte, les gens qui la montaient criaient : — Trévice, Vicenee, ont proclamé la république ! — Vive saint Marc ! répondait le peuple. Pendant le trajet, l’attitude indécise des Vénitiens m’avait- suggéré la pensée d’aller à Padoue trouver le général baron d’Aspre, qui y commandait. Son énergie, ses talens étaient connus de toute l’armée et il me semblait qu’en lançant quelques bataillons sur cette ville, encore étonnée de sa liberté, on pourrait y rétablir l’autorité impériale. En arrivant à Mestre, les