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Presque chaque semaine, des bataillons croates traversaient Vérone ; on les poussait en avant vers le Pô et le Tesin ! c’étaient des hommes superbe, hauts et forts, et dont l’air dur et sauvage contrastait avec la physionomie un peu efféminée des Italiens ; ces pauvres Croates étaient sans cesse dupes de l’astuce des marchands véronais : Comme je passais sur la place, je vis deux sous-officiers des Ottochaner[1] qui achetaient du riz pour leurs compagnies ; on leur en demandait un prix exorbitant, et, comme ils ne savaient pas la langue, je m’avançai, fis le marché et eus le riz à moitié prix. Alors, avec cette bonté naïve et cordiale naturelle aux Croates, ils me prièrent de boire avec eux. On apporta du vin ; mais, quand j’ouvris mon manteau pour avancer le bras et prendre un verre ; ils virent à mon uniforme que j’étais officier. Leur embarras, leur mine humblement respectueuse, me firent sourire ; je leur donnai la main et nous nous quittâmes bons amis.

Lorsqu’on proclama à Vérone la constitution accordée par l’empereur et le décret qui permettait l’organisation de la garde nationale, les sens de la ville s’abandonnèrent à une gaieté folle ; ils se promenaient en criant dans les rues et sur le Corso, portant de grands drapeaux avec le portrait de Pio nono ; quand ils rencontraient un officier, ils se précipitaient sur lui pour lui baiser les mains et l’embrasser. « Nous sommes tous frères, et vive l’Italie ! » disaient-ils. Ils voulurent nous porter en triomphe ; mais ces ovations, cette joie, ces caresses étaient une comédie. Ils voulaient nous tromper, nous endormir ; pas un seul n’était de bonne foi ; ils me firent surtout l’effet de gens qui cherchent à se monter, à se donner du courage en s’étourdissant à force de crier.

Au commencement de mars, la révolte éclata simultanément dans toutes les villes de l’Italie ; elle avait été depuis long-temps prévue et annoncée à Vienne par le maréchal Radetzky, partout les ordres étaient donnés ; au premier signal, les troupes disséminées dans les villes de la Lombardie devaient se réunir à Milan et celles de la Vénétie à Vérone, et quoique le maréchal n’eût à espérer aucun secours, aucune aide du reste de l’empire, tant l’état du gouvernement autrichien était faible et chancelant à cette époque, la révolte eût été facilement comprimée par les mesures énergiques qu’il avait prises, si l’agression du roi de Sardaigne n’était venue augmenter la confiance des rebelles, et mettre le maréchal Radetzky, avec le peu de troupes réunies à Milan, en présence d’une nombreuse armée ennemie au milieu d’un pays insurgé.

Vérone néanmoins ne remuait pas ; mais toutes les communications et la Lombardie étaient interrompues. Des comités révolutionnaires

  1. Soldats du 2e régiment d’infanterie des frontières militaires, qui se lève dans le district de la Croatie dont Ottochacz est le chef-lieu.