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au galop, j’arrivai sur la place du village, et je demandai à celui de mes soldats qui frappait l’alarme ce qui était arrivé.

— Mon lieutenant, me dit le soldat, je rassemble le peloton ; les recrues se battent au bal, à Weitersfeld, avec les paysans ; le brigadier Czepp est allé les séparer, mais il a été blessé ; il est peut-être déjà tué, je vais le secourir ou le venger.

Je savais à quelles terribles violences les soldats bohêmes, si calmes d’habitude, se laissent emporter lorsqu’ils croient leur honneur compromis. Je repartis à fond de train sur un cheval frais, et en quelques minutes je fus à Weitersfeld.

L’auberge où l’on avait dansé était déserte, une chandelle brûlait dans un coin de la salle, la porte était enfoncée, les fenêtres brisées ; sur les murs blanchis, à la chaux, on voyait les empreintes sanglantes de mains qui s’y étaient appuyées dans la lutte, sur le plancher de larges plaques de sang et des pieds de chaises et de bancs brisés ; arme dangereuse dont les paysans se servent comme d’une massue dans ces sortes de batailles, et dont les coins tranchans font de larges blessures. Le brigadier Czepp entra en ce moment ; son visage était couvert de sang, il tenait à la main son sabre nu, et, se redressant fièrement comme il sied à un soldat, il me dit d’une voix qu’il cherchait à rendre calme, pendant que la colère et l’émotion du combat soulevaient sa poitrine, qu’une querelle avait eu lieu au bal entre un soldat et un paysan qui se disputaient une danseuse ; la bataille était alors devenue générale, et les chevau-légers avaient soutenu à quatre le combat contre plus de cinquante paysans. Czepp s’était jeté dans la salle le sabre à la main pour les séparer, mais il avait été pris et presque étouffé entre le mur et une table massive qu’on avait poussée contre lui ; alors, comme il était près d’une fenêtre, un des soldats lui avait passé du dehors un pistolet chargé ; trois autres chevau-légers étaient arrivés presque en même temps, et avaient enfoncé la porte, soutenu leurs camarades frappé, blessé et mis en fuite des paysans.

Je pris une lanterne pour visiter quelques maisons du village où logeaient des soldats de mon peloton, puis je me rendis sur la place. D’autres soldats arrivés du village que j’habitais, Lichendorf, s’y tenaient alignés et armés de sabres et de carabines. Je les calmai et les renvoyai. Plusieurs de mes hommes étaient grièvement blessés ; l’un d’eux, qui est mort plus tard à Vérone, avait l’os du crâne enfoncé. « Mon lieutenant, me dit-il, nous sommes restés les maîtres. » Et comme je sortais, je l’entendis qui disait à ceux qui me suivaient : « C’est égal, je me suis bien vengé. »

J’étais très inquiet ; le lendemain, au point du jour, j’allai à Mureck trouver mon chef d’escadron. Je craignais de le voir s’emporter et me faire des reproches violens ; mais il savait que j’avais ordonné au brigadier