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– Que lisez-vous là ? dit-elle. — Le Cid, madame, dit Nicolas, et il ajouta : Ah ! Que Chimène fut malheureuse ! Mais qu’elle était aimable ! — Oui, elle se trouvait dans une cruelle position.- Oh ! bien cruelle ! — Je crois, en vérité, que ces positions-là… augmentent l’amour. — Bien sûrement, madame, elles l’augmentent à un point… Eh ! comment le savez-vous à votre âge ? » Nicolas fut embarrassé, il rougit. Un moment après, il osa dire : « Je le sais aussi bien que Rodrigue. » Mme Parangon se leva avec un éclat de rire, et elle reprit d’un ton plus sérieux : « Je vous souhaite les vertus de Rodrigue, et surtout son bonheur ! »

Nicolas sentit, à travers l’ironie bienveillante qui termina cette conversation, qu’il avait été un peu loin. Mme Parangon s’était retirée, mais ses mules aux boucles étincelantes étaient restées près du fauteuil.Nicolas les saisit avec une sorte d’exaltation, en admira la forme et osa écrire en petits.caractères, dans l’intérieur de l’un de ces charmans objets : « Je vous adore ! » Puis, comme Tiennette rentrait, il lui dit de les reporter.


VII. – L’ETOILE DE VENUS.

Cette action étrange, cette déclaration d’amour si singulièrement placée, cette audace surtout pour un apprenti de s’adresser à l’épouse du maître était un premier pas sur une pente dangereuse où Nicolas ne devait plus s’arrêter. On l’a vu jusqu’ici céder facilement sans doute aux entraînemens de son cœur ; nous avons dû taire même bien des aventures dont les jeunes filles de Saci et d’Auxerre étaient les héroïnes, souvent adorées, souvent trahies… Désormais cette ame si jeune encore ne se sent plus innocente ; c’était la minute indécise entre le bien et le mal, marquée dans la vie de chaque homme, qui décide de toute sa destinée. Ah ! si l’on pouvait arrêter l’aiguille et la reporter en arrière ! mais on ne ferait que déranger l’horloge apparente, et l’heure éternelle marche toujours..


Ce jour-là même, M. Parangon et le prote assistaient à un banquet de francs-maçons ; Nicolas devait donc dîner seul avec la femme de l’imprimeur. Il n’osait se mettre à table. Mme Parangon lui dit d’une voix légèrement altérée : « Placez-vous. » Nicolas s’assit à sa place ordinaire. « Mettez-vous en face de moi, dit Mme Parangon, puisque nous ne sommes que deux. »Elle le servit. Il gardait le silence et portait lentement les morceaux à sa bouche. — Mangez, puisque vous êtes à table, dit la dame. À quoi rêvez-vous ? – A rien madame. – Etiez-vous à la grand’messe ? – Oui, madame. Avez-vous eu du pain bénit ? – Non, madame ; je me trouvais derrière le chœur, où l’on n’en distribue pas. — En voici un morceau. Et elle le lui montra sur un plat d’argent,