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parfois celles du jeune garçon. Nicolas ne lui enviait pas ce bonheur, le contact de ces mains délicates eût été pour lui comme du feu. Il ne put parler et respirer que lorsque Jeannette se fut éloignée. Cependant il fit ensuite la réflexion qu’elle ne lui avait pas adressé la parole ainsi qu’à son compagnon, et avait même baissé les yeux en passant près de lui. Se serait-elle aperçue qu’à l’église son regard était toujours fixé sur elle ? Le fait est que, peu de temps après, une dévote nommée Mlle Droin avertit la gouvernante du curé que Nicolas, pendant le prône, avait toujours les yeux tournés du côté de Mlle Rousseau. Marguerite le redit au jeune homme avec bonté, en assurant que plusieurs personne avaient fait la même remarque.


V. – MARGUERITE.

Marguerite Pâris, la gouvernante du curé de Courgis, touchait à la quarantaine ; mais elle était fraîche comme une dévote et comme une femme qui avait toujours vécu au-dessus du besoin. Elle se coiffait avec goût et de la même manière que Jeannette Rousseau. Elle faisait venir ses chaussures de Paris et les choisissait à talons minces et élevés, faisant valoir la finesse de sa jambe, qui était couverte d’un bas de coton à coins bleus bien tiré. C’était le jour de l’Assomption ; il faisait chaud ; .la gouvernante, après vêpres, se déshabilla et se mit en blanc. Les enfans de chœur jouaient dans la cour, l’abbé Thomas était à l’église, Nicolas étudiait à sa petite table près d’une fenêtre ; Marguerite, dans la même chambre, épluchait une salade ; les yeux du jeune homme se détournaient de temps en temps de son travail, et il suivait les mouvemens de Marguerite, tout en pensant à Jeannette. Ce qui unissait en lui ces deux idées, c’était le souvenir de la rencontre de Marguerite et de Jeannette quelque temps auparavant, au sortir de l’église.

— Soeur Marguerite, dit-il, est-ce que Mlle Jeannette Rousseau est bien riche ? Vous savez, la fille du notaire…

Marguerite fit un mouvement de surprise, quitta sa salade et vint sers Nicolas.

— Pourquoi me demandez-vous cela, mon enfant ? dit-elle.

— Parce que vous la connaissez… et mes parens seraient peut-être bien contens, si j’épousais une demoiselle riche…

La finesse de l’écolier, qui voulait concilier à la fois la prévoyance paternelle avec sa flamme platonique, n’échappa point à la gouvernante ; mais une pensée inconnue traversa tout à coup son esprit, et elle vint s’asseoir, attendrie, la poitrine gonflée de soupirs, auprès de la table de Nicolas. Alors elle lui raconta avec effusion qu’autrefois M. Rousseau, le père de Jeannette, l’avait recherchée en mariage et