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qu’elle se sent menacée. Il y a des coups d’état en l’air, il faut se défendre Cavete, consules, ne quid detrimenti respublica capiat ; il faut sauver la république. — La république ! eh ! qui la menace, bon Dieu ? Je ne vois que des gens qui la défendent, et, depuis qu’il est convenu qu’elle n’est et ne peut être qu’un état provisoire, elle devient chaque jour davantage quelque chose de définitif. Heureux chapeau qui garde une place ! Personne ne le dérangera, parce que personne ne veut que son voisin se mette à cette place. Ah ! si c’était quelqu’un qui fût à ce poste si envié, vous verriez, disent les gens qui mettent leur courage dans l’avenir et leur jalousie dans le présent ; mais un chapeau ! Pourquoi l’ôter ? ou plutôt qu’y mettre ? — La république n’est donc pas menacée, et elle fait bien mieux que d’avoir quelqu’un pour soi ; elle a tout le monde contre ses rernplaçans. Elle est à la fois insupportable et inévitable. Or, de ces deux mots, le second l’a toujours emporté sur le premier. Voyez l’histoire de l’homme : il supporte tout et il n’évite rien.

Il est un autre reproche que nous mettons sur le compte de l’agitation nerveuse que nous signalons dans l’assemblée : c’est la facilité à entrer dans la mauvaise compagnie. Comment, par exemple, les membres du parti de l’ordre consentent-ils à accepter les votes de la montagne ? De quel cœur reçoivent-ils les cajoleries que leur font les journaux du radicalisme ? Nous ne pouvons pas, dit-on, empêcher que les boules ne se rencontrent dans l’urne. Ce n’est pas une coalition, c’est une coïncidence. Quand il s’agit de voter certains articles de loi, nous concevons les coïncidences ; quand il s’agit de voter sur certains noms, il n’y a plus que des coalitions. Non-seulement, en effet, il y a des membres de la majorité qui ont reçu les votes de la montagne, mais ils ont aussi voté pour quelques-uns des hommes que leur présentait la montagne. Ce ne sont plus là des rencontres, ce sont des rendez-vous. Et qu’est-ce que la majorité peut espérer de pareils traités ? Croit-elle qu’elle convertira la montagne ? Voyez : dans cette même quinzaine, un des membres de la majorité demandait à la montagne de les aider à défendre la république contre le président, comme s’il y avait un seul acte du président qui autorisât un pareil soupçon. Que faisait la montagne en discutant le budget ? Elle accusait la multiplicité des prêtres. Que pense de cette avance de ses alliés le parti légitimiste ? Elle essayait de contester le douaire de la duchesse d’Orléans, voté avec une si imposante majorité il y a un an. Que pense de ce témoignage de bon accord le parti orléaniste ? Enfin elle tâchait de porter quelques coups de bas en haut au général Changarnier à propos du commandement de la garde nationale. Que pense de cet esprit de conciliation le grand parti de l’ordre public ? Voilà les récens encouragemens que la majorité a reçus de la montagne, et pourtant les membres de la majorité n’ont pas hésité à voter avec et pour les candidats que présentait la montagne.

Disons-le franchement, ces soudaines et impétueuses défiances contre le président, ces caprices de peur, ces rendez-vous compromettans donnés à la montagne, tout cela décontenance et déconcerte une majorité.

Et cependant, malgré les inconvéniens que nous signalons, nous persistons à soutenir que tout ce que nous avons vu cette quinzaine n’est pas une crise, mais une agitation et une secousse. Non, il n’y a rien du côté de l’assemblée qu’une grande susceptibilité nerveuse, ce qui, après tout, est une maladie de