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journaux ont pris à partie l’assemblée. L’un d’eux ayant parlé d’un ton vif et prétorien, l’assemblée s’est fâchée, l’a cité à sa barre et l’a condamné.

Quant à nous, nous n’avons rien à dire à cette querelle, et nous serions fâchés qu’elle continuât. Nous ne voyons pas en effet ce que la presse et la tribune peuvent gagner à se brouiller, et nous voyons fort bien ce qu’elles peuvent y perdre. La presse et la tribune sont deux expressions de la liberté nécessaires l’une à l’autre. Ce sont deux sœurs qui se querellent parfois, mais c’est la même famille, et c’est le même intérêt. Les pays qui n’ont pas de journaux n’ont pas de parlemens, et les pays qui n’ont pas de parlemens n’ont que des journaux insignifians. Frapper la tribune, c’est frapper la presse ; affaiblir la presse, ce n’est pas fortifier la tribune. L’assemblée croit-elle que le pays ait un goût bien passionné et bien persévérant pour les discussions parlementaires ? Consultez ce gros public qui ne se plaint jamais que du mal d’hier, et demandez-lui sil est fâché que la tribune cherche à faire taire la presse. — Oh ! non ; c’est bien fait ! — Mais voilà la presse qui, à son tour, attaque la tribune et qui voudrait la faire taire. Qu’en pensez-vous ? — C’est bien fait !

La guerre qui a semblé s’engager entre la presse et la tribune a déjà eu ses inconvéniens, et le plus grave à nos yeux, c’est d’avoir rendu l’assemblée un peu ombrageuse. Elle n’a pas voulu croire qu’elle n’était attaquée que par la presse ; elle n’a pas voulu croire que la presse cherchait à venger son injure ou à satisfaire sa mauvaise humeur. Il y avait un plaideur qui, ayant perdu sa cause, avait vingt-quatre heures pour maudire ses juges. Les juges ont cru qu’au lieu de les maudire, le plaideur condamné conspirait contre eux. Ils se sont cherché des ennemis, ils se sont inventé des dangers, ils se sont imaginé avoir à montrer des courages que personne ne révoquait en doute, que personne ne défiait ; mais nous sommes loin de croire que l’assemblée tout entière se soit laissé aller à ces défiances ou à ces vigilances inopportunes. Nous sommes persuadés que dans la majorité les défians sont en petit nombre. Seulement, telle est la constitution de l’assemblée, que, quand une faible portion de la majorité s’avise d’avoir un caprice ou une tentation, elle peut toujours la satisfaire, grace aux facilités qu’elle trouve dans l’opposition. Il y a toujours deux cents voix prêtes à encourager la majorité à mal faire. Quant au prix que la montagne demandera plus tard pour l’appui qu’elle donne aux capricieux de la majorité, il n’en est pas question en ce moment : on ne paie qu’en sortant, mais on paie cher.

Ce qui nous montre qu’il y a eu dans tout ce que nous avons vu et lu depuis huit ou dix jours quelque chose de capricieux et de factice, quelque chose qui se sent de l’excitation nerveuse qu’on a quand on se croit en guerre, C’est que tout a été soudain et imprévu. Le rapport de M. de Montalembert sur la prorogation n’avait excité aucun orage. Tout le monde se réjouissait de l’idée d’aller voir ses meules de récolte et d’aller faire ses vendanges. La douce pensée des vacances régnait seule dans l’assemblée, et même les représentans avaient permis que le rapport les fît sourire au souvenir des deux cent vingt-huit lois qu’ils avaient faites. Tout à coup un journal critique l’assemblée en lui faisant ses adieux. Dès ce moment, l’esprit du rapport sur la prorogation est oublié. La défiance et le soupçon entrent dans beaucoup d’esprits. Tout à l’heure l’assemblée faisait des idylles ; voilà qu’elle croit aux conspirations, voilà