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monde et n’enrichissent personne. Ce qu’ils n’ont trouvé ni aux Tuileries ni au Luxembourg, ils vont le chercher en Californie. La révolution de 1848 a beau faire et répéter ses grands mots de liberté et de fraternité ; ç’a été une révolution toute matérialiste, et la Californie est aussi une colonisation toute matérialiste. L’une était faite pour remplacer l’autre dans la convoitise publique.

Nous venons de décrire l’état du parti montagnard, et ce qui nous fait croire que nous ne nous sommes pas trompés, ce sont les conseils de prudence et de sagesse que les hommes habiles du parti répètent à tout propos. Comme ils se sentent faibles, ils veulent se faire prudens, parce que d’abord cela a meilleur air, et parce que de cette manière surtout ils ne donnent pas prise à leurs adversaires. Cet état de faiblesse et de division du parti montagnard, qui s’est révélé dans la réforme du suffrage universel, n’a pas changé depuis ce moment, sauf que le parti de l’ordre semble s’être piqué d’émulation, et qu’il s’est mis aussi à se diviser. Nous ne croyons pas cependant que ces divisions soient graves et sérieuses.

Racontons fort brièvement ce qui s’est passé pendant ces quinze jours, et indiquons en passant ce qui nous rassure ou nous inquiète dans les derniers incidens de la quinzaine.

Et d’abord parlons du vote de la loi de la presse. Nous avons sous les yeux en ce moment trois sermons prononcés en 1640 à Strasbourg par Jean Schmid en mémoire de la découverte de l’imprimerie, et le troisième de ces sermons finit par une prière qui nous semble résumer l’histoire de la presse depuis, son origine jusqu’à nos jours, « Dieu tout-puissant et éternel, dit le prédicateur, nous célébrons aujourd’hui ton nom, et nous te remercions du fond du cœur, pour tous les biens spirituels et temporels dont tu as daigné nous combler, et surtout à cause de cet art admirable de l’imprimerie, que tu avais caché à tes saints eux-mêmes, mais que tu nous as révélé vers la fin du monde, et des bienfaits qu’à l’aide de cet art tu as répandus et tu répands encore sur le genre humain. Nous te supplions afin que l’ingratitude de nos cœurs et le détestable abus de cet art ne te décident pas à nous en retirer l’usage, et nous te demandons qu’appuyé par la grace de Jésus-Christ, tu veuilles bien nous conserver cet art ; et le transmettre à nos descendans[1]. »

Que dites-vous de cette prière ? Et la discussion de la loi de la presse n’aurait-elle pas dû s’ouvrir par quelque invocation de ce genre à l’esprit de paix, qui conserve les arts chers à l’humanité, en dépit de leurs inévitables abus ? Malheureusement cet esprit de charité et de douceur n’a guère régné dans la discussion de la loi de la presse, et le vieil Adam (par ce mot emprunté à la théologie, nous ne désignons particulièrement aucun parti de l’assemblée ; nous désignons toute l’humanité, parlementaire), le vieil Adam, trouvant l’occasion de satisfaire ses rancunes contre ses ennemis et même ses secrets dépits contre ses amis, s’en est passé la fantaisie ; il a, comme le médecin aveugle de la fable, frappé avec son bâton sur la maladie, sur le malade, sur les amis, sur les infirmiers, sur tout le monde. La presse, se trouvant frappée, a crié, et quelques

  1. Monumenta Typoyraphica, quæ Artis hujus prætantissimæ originem, laudem et abusum posteris produnt, instaurata studio et labore J. Christiani Wolfii, 2 vol, Hambourg, 1740.