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Voici maintenant la péroraison : « Voulez-vous, citoyens, servir encore votre patrie, travailler au progrès, contribuer au triomphe de la révolution ? Croyez-moi, devenez d’autres hommes. Mettez au crochet votre défroque parlementaire, rengaînez votre phraséologie, brûlez-moi ces vieux oripeaux du jacobinisme ; étudiez la philosophie de l’histoire, de l’économie politique et du droit. Tenez, voulez-vous que je vous dise toute ma pensée ? Je ne connais qu’un mot qui caractérise votre passé, et je saisis cette occasion de le faire passer de l’argot populaire dans la langue politique. Avec vos grands mots de guerre aux rois et de fraternité des peuples, avec vos parades révolutionnaires et tout ce tintamarre de démagogues, vous n’avez été jusqu’à présent que des blagueurs. »

Nous avons souvent dit que le parti montagnard n’était composé que de déclamateurs ; mais peut-être M. Proudhon a-t-il raison, et, pour désigner cette déclamation usée jusqu’à la corde et qui se pavane encore sous ses haillons, peut-être faut-il un mot emprunté à l’argot populaire. Chose curieuse en effet : pendant que M. Proudhon montre aux montagnards de Londres la décrépitude grotesque de leurs oripeaux révolutionnaires, que font les montagnards de Paris dans un journal qu’ils viennent de fonder sous le titre de la République universelle ? Dans ce journal, ils se disent jeunes, très jeunes, et raillent agréablement ce qu’ils appellent les vieux de l’ancien régime ; mais, en même temps qu’ils sont jeunes, ils sont prudens, et c’est par là qu’ils se séparent des montagnards de Londres. — Brisez tout, abîmez tout ! crie la montagne de Londres. — Ne bougeons pas, ne remuons pas, ne parlons pas ! dit la République universelle. « La république est-elle insultée ? le président de l’assemblée est-il sourd à ses réclamations ? Ne lui demandons rien, ni rappel à l’ordre, ni rectification au procès-verbal : ne nous exposons pas à des refus qui ne pourraient qu’amoindrir notre influence morale, puisque nous n’avons aucun moyen pour vaincre la résistance qu’on nous oppose ; mais protestons avec dignité en laissant au pays le soin de prononcer entre nous et nos adversaires. » — Système commode ! dit la montagne de Londres ; cela veut dire que vous bouderez, mais que vous n’en toucherez pas moins votre indemnité parlementaire ! L’indemnité parlementaire, cela est triste à dire, devient une pomme de discorde entre les montagnards, et peut-être M. de Goulard, en proposant de la réduire, a-t-il voulu rétablir la bonne intelligence entre la montagne du dehors et la montagne du dedans. En effet, grace à la mauvaise humeur que l’indemnité parlementaire inspire à ceux qui ne la touchent pas, toutes les vertus de la montagne du dedans sont suspectes à la montagne du dehors. La montagne du dedans est prudente et réservée ; on lui dit qu’elle est timide et qu’elle veut rester appointée. — Nous ne vous donnons pas vingt-cinq francs par jour pour être prudens ! crie brutalement la montagne du dehors, — et nous ajouterons, nous, — pour être jeunes sans faire jamais de folies, puisque votre prétention est d’être jeunes ! — Heureux système, n’est-ce pas ? on est jeune et on est prudent, deux bons moyens d’attendre commodément le jour du triomphe ! La République universelle exprime à ce sujet la plus béate confiance du monde « Les vieux de l’ancien régime, dit-elle, se refusent à constituer la société nouvelle. Paix à leurs cheveux blancs ! la génération qui grandit est assez forte pour creuser son moule et s’y organiser. » Nous ne voulons pas défendre les vieux de l’ancien régime ; nous demandons seulement où sont les jeunes du