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est morte ; mais, comme elle est vivement regrettée, comme elle a de fanatiques amis qui la pleurent, des historiens enthousiastes qui la racontent, la question, c’est de l’empêcher de revenir. On a refait l’ordre matériel dans les institutions, on a aboli les décrets du gouvernement provisoire, mutilé ses créations informes, fait disparaître sa tribune aux harangues. Les auteurs de ces décrets et de ces harangues sont dispersés aux quatre vents ou rentrés dans l’obscurité On cherche ce qui reste des malencontreuses institutions fondées par la révolution de février. Moi-même, me demandant dernièrement ce qu’avait fait cette révolution et ne me le rappelant plus, j’ouvris le Bulletin de la République, et je trouvai le résultat net de ce qu’elle a fait, à la fin du n° 14.

« Les 23 et 24 février, il a été élevé dans Paris 1,512 barricades presque entièrement concentrées entre la Cité, la Madeleine, la barrière des Martyrs, le canal Saint-Martin, sur la rive droite, et autour de la Cité, sur la rive gauche ; elles s’étendaient en outre dans toutes les routes conduisant aux barrières.

« On a calculé que chaque barricade a employé en moyenne 845 pavés, de sorte que le peuple a arraché en quelques heures 1,277,640 pavés.

« On a, en outre, renverse 4,013 arbres ; on a brise et endommagé 3,704 appareils d’éclairage, savoir : 227 candélabres, 11 consoles, 890 lanternes brisées et 2,576 lanternes dont les verres ont été cassés.

« Enfin, on a brûlé ou détruit 53 corps de garde, 71 bureaux de surveillans de voitures de place, 41 bureaux d’octroi ; 41 guérites, 104 colonnes d’affichage, 192 bornes ; total 603.

« Dans ce calcul ne sont pas comprises les grilles, qui ont été arrachées pour faire des armes et compléter les barricades, comme à la Bourse, à l’Assomption, au ministère de la marine, à Notre-Dame-de-Lorette, etc. »

Que dites-vous de ce petit mémoire ? Jamais les chiffres n’avaient joué un rôle aussi comique. Eh bien ! voilà le résultat net de tout ce qu’a fait la révolution de février, et encore on a repavé les rues, replanté les arbres et replacé les carreaux des lanternes. Il n’en reste plus même cela. Mais l’ordre moral troublé, qui le rétablira ? mais l’agitation des ames, mais les passions soulevées, qui les apaisera ? C’est de ce côté désormais que doivent porter nos efforts, et c’est le plus sûr moyen d’éviter à jamais les petits mémoires semblables à celui que nous venons de transcrire. Ayons bon courage, et songeons moins désormais à l’ordre matériel qu’à l’ordre moral, car c’est en lui qu’est notre sauvegarde.


EMILE MONTEGUT.