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pas les doctrines révolutionnaires, et, suivant en cela les répugnances que Saint-Simon et Fourier, leurs maîtres, avaient toujours manifestées pour la révolution française, ils voyaient dans leurs doctrines le moyen de sortir de l’impasse où cette révolution nous a jetés. D’autre part, les doctrines révolutionnaires n’avaient plus de représentans philosophiques, et s’étaient réfugiées dans les sociétés secrètes et les cadres de l’insurrection. C’est alors que M. Louis Blanc parut : il vit le profit que l’on pouvait tirer des doctrines socialistes, il transforma en machines de guerre ces tristes philosophies, et les plaça sous la protection du drapeau rouge. Le premier, il a dépouillé ces doctrines de tout ce qui faisait leur attrait étrange. Vêtemens orientaux, voiles brodés de caractères symboliques et mystiques, turbans, colliers, il leur arracha tout ce luxe et tout cet éclat sensuel qui les déguisaient, et il leur dit Allez et criez que vous avez froid, puisque je vous ai dépouillées, et que vous n’avez pas d’abri, maintenant que j’ai renversé les fantastiques édifices qui vous abritaient. — Puis, comme ces doctrines n’avaient pas de traditions, il exhuma les doctrines du comité de salut public, les moyens pratiques de la terreur, les traditions révolutionnaires, et rattacha le socialisme à Mably, à Morelly, à Robespierre et à Saint-Just, à Buonarotti, à Baboeuf. Il y avait eu déjà, je le sais bien, une tradition renouée par Buonarotti et par quelques jeunes gens dans les prisons de Sainte-Pélagie ; mais, jusqu’à M. Louis Blanc, ces doctrines étaient restées ensevelies dans les sociétés secrètes : elles n’avaient pas d’organe public. M. Louis Blanc les prit par la main, les conduisit au grand soleil, exprima leurs voeux. Il fut le premier organe de ce qu’on pourrait appeler le socialisme pratique et révolutionnaire par opposition au socialisme théorique et contemplatif de la Démocratie pacifique et de l’ancien Globe saint-simonien ; c’est lui qui, le premier, a établi l’union entre le socialisme et les traditions des terroristes de 93 : il a ainsi formé tout un parti détestable qui unit en lui tous les vices combinés du socialisme et du terrorisme. Ce n’est point par les conférences du Luxembourg seulement que M. Louis Blanc a été coupable envers la société.

M. Louis Blanc et M. Caussidière ont été les révolutionnaires les plus actifs parmi tous ceux qui, de près ou de loin, ont touché au pouvoir. Ils s’étaient, on peut le dire, partagé la besogne : M. Louis Blanc se chargeait d’exciter ses chers prolétaires, M. Caussidière d’endormir les bons bourgeois, et chacun avait bien choisi le rôle qui lui convenait. M. Louis Blanc devait plaire et plaisait infiniment aux ouvriers. Ton déclamatoire, phrases de tribun, style de rhéteur, il réunissait toutes les qualités nécessaires pour se faire écouter du peuple et pour acquérir sur lui une grande influence. Chose funeste et triste symptôme de décadence morale ! les différentes classes de la société n’aiment point