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il y a du sens, dans la résistance de ces messieurs ; mais voilà que M. Garnier-Pages intervient et tranche la difficulté : Nommons-les secrétaires, dit-il. Ce mot, et cet acte sont ceux qui ont dénoué toutes les difficultés du gouvernement provisoire. M. Louis Blanc demande que le gouvernement établisse un ministère du progrès, le gouvernement résiste, enfin on nomme. M. Louis Blanc président d’une commission des travailleurs ; voilà encore le nommons-les secrétaires de M. Garnier-Pagès. M. Ledru-Rollin, sous la pression des clubs et l’obsession de ses amis les démagogues, demande que le gouvernement retarde les élections ; le gouvernement résiste ; M Ledru-Rollin insiste et le gouvernement retarde les élections jusqu’au 27 avril : voilà derechef le nommons-les secrétaires.

Pendant tout le temps qu’a duré ce gouvernement, tous ses actes ont été inspirés par une idée de despotisme individuel, et, ont passé grace à cette complaisance de collègues qui demandaient l’amnistie pour eux-mêmes après l’avoir accordée la veille à quelques-uns d’entre eux. — Faites ce que vous voudrez avec vos bourgeois et laissez-moi faire ce que je voudrai avec mes prolétaires, dit M. Louis Blanc ; accordé. — Faites ce que vous voudrez avec vos clubs, mais laissez-nous faire ce qui, nous voudrons avec nos bourgeois, dit le gouvernement provisoire à M. Ledru-Rollin ; accordé. — Faites votre police, et je ferai la mienne, dit M. Marrast à M. Caussidière. Personne ne veut démordre, et tout le monde cède. Est-ce faiblesse, est-ce pusillanimité ? Non ; c’est là l’éternelle conduite des conspirateurs de tous les temps : — Tu veux cela, cela m’est égal, puisque je ne le désire pas ; fais-le donc et laisse-moi mon pouvoir, laisse-moi faire à mon tour ce que je désire. — Mais, lorsqu’il arrive que les prétentions despotiques de chacun deviennent des rivalités, alors ils se lèvent tous, et, sur la menace du plus hardi, ils s’écrient : — Eh bien ! soit, des coups de fusil ! — Ces concessions et ces luttes personnelles se terminèrent, comme il était naturel, par le 15 mai d’abord, par le 23 juin ensuite ; après quoi il ne resta plus trace du gouvernement provisoire.

Jlamais gouvernement n’a tant écrit, tant parlé, tant promulgué de décrets. Quelle Iliade que celle qui a été chantée dans le Moniteur par ces huit ou dix rapsodes, et dont M. de Lamartine est à la fois l’Homère et l’Achille ! Entre deux conspirations, le gouvernement trouve le moyen de faire, d’imprimer et de publier des décrets et des proclamations qui en enfanteront d’autres. Entre le 24 février et le 17 mars, il publie le décret qui institue une commission des travailleurs, motivé comme il suit : « Considérant qu’il est temps de mettre un terme aux iniques souffrances qui pèsent sur les travailleurs, etc. ; » entre le 17 mars et le 16 avril. il abolit l’esclavage dans les colonies, sans doute cette fois pour mettre un terme à l’inique sécurité des colons. Chaque jour, un décret nouveau est publié comme pour enlever au gouvernement une arme et