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empêcher de dire une vérité à la façon de M. de Bièvre : On a répété partout que la révolution de février était une surprise ; eh bien ! si c’était une surprise, c’est que personne n’était assez inquiet. L’indolence s’expie comme le crime.

Voilà, selon moi, les causes immédiates de cette révolution ; maintenant, veut-on connaître ses tendances ? Qu’on observe les hommes qui furent appels à la représenter. Un gouvernement provisoire fut installé, nous savons comment. Le peuple alla chercher ses chefs à la chambre des députés, et, de cette visite révolutionnaire, il résulta le gouvernement le plus anarchique que l’on ait encore vu. J’ai long-temps cherché à quoi pouvait ressembler le gouvernement provisoire ; l’histoire ne me fournissait l’exemple d’aucun gouvernement qui eût avec lui le moindre rapport. À la fin, j’ai trouvé son explication dans son origine même. Le gouvernement provisoire, composé de radicaux modérés, de révolutionnaires, de communistes, ce fut une commission parlementaire, ce n’était pas un gouvernement. Seulement, c’était une commission où chacun ne se contentait pas d’exposer son opinion et de chercher à la faire prévaloir, mais où chacun avait le droit de la faire prévaloir et de l’imposer, et où la majorité n’avait le droit de rien rejeter ; de cette funeste situation résultèrent les belles choses que nous avons vues. Chacun faisait son décret, chacun faisait son discours, chacun avait sa police ; rien n’indique mieux cette tendance anarchique que le mode de rédaction adopté pour le Bulletin de la République. Il fut convenu, disent les pièces de la commission d’enquête, que chacun le rédigerait à son tour. De là la différence de ton que l’on remarque dans chacun de ces bulletins : le second est différent du premier, et le troisième contredit le second. Chaque membre du gouvernement était plus despote que Louis XIV, et pouvait dire : L’état c’est moi. Dans cette commission parlementaire où tant de nuances avaient été fondues, chacun à bon droit pouvait se regarder comme le gouvernement. Du moment que le gouvernement n’était pas homogène, où était l’unité, sinon dans l’esprit de chacun de ses membres ? M. Louis Blanc apparaît dans la salle du conseil à l’Hôtel-de-Ville le soir même du 24 février. « Eh bien ! messieurs, dit-il, délibérons. » À ces mots, M. Arago le regarde d’un air profondément étonné, et lui dit avec hauteur : « Sans doute, monsieur, nous allons délibérer, mais pas avant que vous soyez sorti[1]. » Et certes M. Arago avait raison. « M. Louis Blanc se prétend plus légitimement élu que certains membres du gouvernement provisoire, parce qu’il tient sa délégation de l’acclamation directe du peuple. » Et M. Louis Blanc n’avait pas tort. « Les nominations faites à la chambre sont les seules au contraire que veulent reconnaître MM. Arago, Marie, et Dupont de l’Eure. » Et véritablement

  1. Histoire de la Révolution de Février, par Daniel Stern.