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quelque chose, elle signifie le droit qu’a le peuple de n’être gouverné par personne autre que par Dieu lui-même. Est-ce donc la théocratie que veulent établir les radicaux et les socialistes ? Nous ne le pensons pas.

Si la souveraineté du peuple n’implique pas le gouvernement de Dieu, quel est donc le moyen d’établir cette souveraineté ? Il n’y en a qu’un, c’est de déclarer que le peuple ne relève que de lui-même. — Mais certainement, dira-t-on, cela va de soi ! — Eh non ! cela ne va pas de soi, car c’est tout simplement l’athéisme. Il n’y a pas de milieu : la souveraineté du peuple étant la négation même du gouvernement temporel, la démocratie ne peut se présenter que sous deux aspects : la théocratie ou l’athéisme.

Cela établi, nous voudrions bien savoir pourquoi les radicaux et les ames pieuses de la petite église déiste ont jeté la pierre à M. Proudhon, sous prétexte qu’il chasse Dieu de sa conscience et qu’il proclame l’anarchie ; mais le célèbre socialiste a vu très juste : il a très bien vu ce que nous venons d’établir, que la démocratie était l’abolition du gouvernement temporel (comprenez-vous la théorie de l’anarchie maintenant ?), et que, tout gouvernement temporel étant détruit, il ne restait plus à l’humanité, dégagée de toute sujétion, qu’un gouvernement spirituel. Or, comme il est démocrate dans le sens complètement moderne, il a rejeté la théocratie, et a fait des lois mystérieuses de l’existence humaine le seul principe spirituel, le seul principe d’ordre et de société. Il a très bien compris qu’en se proclamant démocrate et en rejetant la théocratie, il n’avait d’autre refuge que l’athéisme. Lorsqu’on se proclame partisan d’un gouvernement temporel quelconque, on peut avoir une autre foi que l’athéisme : on peut être catholique, protestant, on peut appartenir à l’islamisme, on peut même avoir la ressource d’adorer des pierres et des fétiches, comme les sauvages ; mais, lorsqu’on se proclame démocrate, on n’a que la ressource de s’adorer soi-même, et comme il s’en faut de beaucoup que l’on soit toujours beau, comme, tout en se proclamant roi, on sent très bien qu’on est l’esclave de sa corruption et de sa vanité, on n’a d’autre ressource que d’adorer le néant. Oui, en se proclamant athée, M. Proudhon, en même temps qu’il rendait, par ses négations, un éclatant hommage à la vérité et à la divine Providence, agissait véritablement avec intelligence des questions, honnêteté de caractère, bonne foi et franchise.

Ainsi donc, dans son principe, la révolution de février est athée, nous n’exagérons pas. Beaucoup d’excellens démocrates à courte vue, et qui ne savent jamais démêler le sens réel des doctrines qu’ils professent, le nieront ; mais tous ceux qui ont vu et rencontré des démocrates sérieux et qui ont causé avec eux peuvent dire si nous nous abusons. Chez tous, j’ai rencontré, sinon l’intelligence de l’athéisme, au