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les moyens par lesquels l’aristocratie féodale établit jadis sa puissance ; c’est l’industrie seule qui aujourd’hui établit les relations entre les hommes, et la crainte que tous les gouvernemens ont de l’alarmer, les cours de la bourse reproduits par les journaux de l’univers entier vous disent assez jusqu’à quel point elle gouverne.

Aujourd’hui les classes moyennes sont indestructibles. Pourquoi ? C’est qu’elles sont encore à l’état de force morale, et n’ont pas pris de forme déterminée. Au milieu de l’industrie et du chaos des affaires, elles n’ont pas su encore se créer une manière de vivre, une hiérarchie, en un mot elles n’ont pas de corps, et c’est pour cela qu’aujourd’hui elles sont indestructibles. Lorsque la bourgeoisie aura pris forme, lorsqu’elle aura établi sa hiérarchie, elle sera beaucoup plus attaquable, mais beaucoup moins attaquée ; elle sera destructible alors, mais personne ne songera, au moins pendant long-temps, à lui contester son pouvoir. Effectivement, si aujourd’hui elle est tant attaquée. ce n’est pas tant parce qu’elle gouverne que parce qu’elle est le germe d’une classe nouvelle, l’élément principal d’une civilisation que les uns voient arriver avec regret, que les autres ne jugent pas devoir être essentiellement démocratique. La bourgeoisie n’existe pas comme classe, elle n’est que le germe d’une nouvelle société. Tous ces fléaux qui viennent fondre sur elle, toutes ces passions qui cherchent à l’étouffer témoignent de sa puissance. Pour le moment, elle se rit de toutes les attaques, elle est la favorite du destin. Lorsqu’elle sera arrivée à son plein degré de perfectionnement, alors elle pourra être battue en brèche avec plus d’avantage, car tout corps politique est destructible, mais une force simplement morale ne l’est pas.

Les révolutionnaires de février ont essayé de détruire la bourgeoisie par la banqueroute : tel était, on le sait, le plan fameux de M. Blanqui ; ils essaieront un jour, s’ils sont les maîtres, de la détruire par l’expropriation. Tous ces moyens seront inutiles : on peut la dépouiller, la spolier, c’est peine perdue ; la fortune de la bourgeoisie est encore trop près de sa source, elle n’est pas encore assez traditionnelle, elle n’est pas encore attachée par des liens matériels assez puissans pour que cette spoliation puisse être efficace. L’origine de la bourgeoisie d’ailleurs n’est pas dans la richesse ; il y avait une classe moyenne bien avant que la bourgeoisie conquît la richesse et le pouvoir. Quelle est donc l’origine de la bourgeoisie ? Elle est simplement dans la force morale, dans l’énergie individuelle elle a sa racine dans l’être moral de l’homme. Aussi, pour elle, la spoliation n’est pas à craindre, elle ne touche que très peu à son présent, elle importe peu à son avenir. En effet, si jamais vient le jour d’une spoliation générale, ce n’est pas une classe que l’on dépouillera ; on ne dépouillera que des individus plus ou moins riches. Au lieu d’être une mesure politique, une conquête,