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Ce fut donc sous les meilleurs auspices que le duc de Saldanha inaugura sa nouvelle administration en janvier 1848. Dans la chambre élective, son alliance avec le comte de Thomar lui assurait une majorité compacte ; les députés se montraient hautement disposés à approuver toutes les mesures législatives que le gouvernement proposerait pour la régénération du pays, pour l’organisation des finances, pour le rétablissement du crédit et l’amélioration des voies de communication, et enfin pour la répression complète des excès démagogiques. Dans la chambre haute votaient en sa faveur, outre ses propres amis et parens, tous les amis du comte de Thomar. Dans l’armée qu’il venait de commander, il possédait un élément d’ordre sur lequel il pouvait hardiment compter pour la défense du trône et des institutions. Le peuple, appauvri par la dernière guerre civile, payait cependant avec exactitude les impôts, et l’espèce de torpeur découragée à laquelle il semblait depuis deux ans en proie avait fait place à une fièvre véritable d’améliorations matérielles. Indifférent d’ailleurs à la propagande socialiste, d’importation toute récente en Portugal, et qui parle une langue parfaitement inintelligible dans ce pays où tout surabonde, hormis les bras, il contemplait avec un orgueilleux dédain, du sein de son repos naissant, les révolutions démocratiques et sociales qui ensanglantaient et ruinaient l’Europe. La nation voisine, l’Espagne, se maintenait tranquille sous l’administration énergique et créatrice du général Narvaez, et la bonne intelligence qui régnait entre les deux gouvernemens était une garantie de plus pour la sécurité publique. Le moment semblait donc enfin venu pour le Portugal de réparer ses forces épuisées, de mettre à profit ses nombreuses ressources encore vierges, d’entrer franchement dans la voie du véritable progrès à la suite de l’Espagne, qu’il dépassait déjà trois années auparavant. Cette attente fut encore déçue, et une triste expérience vint prouver que le duc de Saldanha était loin d’être à la hauteur du rôle qu’il avait si ardemment convoité.

Habile général en un jour de bataille, homme de cabinet distingué, éminemment homme du monde, le duc de Saldanha n’a rien moins que l’étoffe d’un ministre dirigeant. Superficiel comme un courtisan, l’inconstance proverbiale de ses opinions le rend complètement inhabile, non-seulement à suivre un plan de gouvernement, mais même à mener à bonne fin la moindre question de détail. Ombrageux et irascible à l’excès vis-à-vis de toute influence qui éclipse sa vieille influence, il est en revanche sans volonté devant toute impulsion d’en bas, et reste ainsi à la merci d’un groupe de mauvais conseillers et d’intrigans qui profitent de son indolente docilité pour l’engager dans de fausses voies ou l’entretenir dans l’hésitation. Il n’a de l’ambitieux que l’inquiétude, du vieillard que l’impuissance, fait tout pour arriver