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cherchez pas cependant le grand poète futur, ni même un progrès très marqué dans le talent de M. Gutzkow. Un écrivain dont le nom était peu connu, M. Otto, a fait jouer récemment au théâtre de Dresde un drame intitulé le Forestier, qui a obtenu un bruyant succès ; je crois qu’un examen impartial diminuerait de beaucoup les éloges accordés à cette œuvre et les espérances fondées sur l’avenir du poète. M. Otto a voulu peindre la lutte du droit naturel et de la loi. Cette pensée abstraite est figurée dans une fable énergique, émouvante, terrible, mais qui tient plus du mélodrame que de la vraie poésie. Ulrich, qui est forestier comme son père, son grand’père et ses aïeux l’ont été avant lui, est chassé par son patron. Celui-ci n’est autre qu’un ancien ami d’Ulrich, devenu à prix d’argent possesseur de la forêt ; mais Ulrich se croit le maître de la forêt où il est né, où il a passé sa vie, qui a été le seul objet de ses soins vigilans, et il n’est pas disposé à abandonner son droit. La lutte s’engage. Cependant le successeur d’Ulrich est tué par un braconnier ; le fils aîné d’Ulrich, André, est accusé du meurtre, puis le bruit de sa mort se répand, et Ulrich, sur un faux rapport, s’imagine que le fils du maître, fiancé à sa fille Marie, a assassiné son futur beau-frère André. Doublement furieux, et sans se donner le temps de savoir la vérité, il venge son enfant en abattant d’un coup de feu sa fille. Que devient, au milieu de ces atroces tueries, le drame annoncé par l’auteur ? La poésie de la forêt, les mœurs rudes de cette famille, les prétentions naïves d’Ulrich, forment dès le début un tableau où le charrue ne manque pas, et ouvrent avec intérêt la lutte qui se prépare : vaines promesses ! nous retombons de là dans le plus noir des mélodrames, dans un de ces cauchemars horribles comme l’Allemagne en a tant vu depuis le 24 Février de Zacharias Werner. Où est dans tout cela le poète prophétisé par la critique ? Où est le créateur de ce théâtre nouveau que les races du Nord doivent donner à l’Europe ?

Un résultat du moins qui semble produit par les catastrophes récentes, c’est qu’on cherche plus avidement que jamais les sujets historiques. Le drame bourgeois, pour lequel Lessing et Diderot ont si vivement combattu il y a un siècle, est destitué par les révolutions. Au milieu de ces cataclysmes où la main de Dieu apparaît, les imaginations les plus vulgaires sont ébranlées et soupçonnent la haute poésie ; les grandes infortunes consignées dans l’histoire cessent d’être un thème banal, elles ont un intérêt vivant. L’homme n’est ému que de ce qui le touche de près, s’écriaient Lessing et Diderot ; que nous font les aventures des héros ou des rois ? que nous importent les infortunes augustes ou les crimes grandioses ? Lessing et Diderot ont tort : les révolutions modernes ont renversé leur théorie, ou plutôt, si la théorie reste la même, la place des spectateurs est changée. Les nations, ces souveraines éprouvées par la colère céleste, s’intéressent désormais