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études du peintre un personnage tout d’une pièce, une fausse et ridicule figure ! On peut citer sans doute çà et là quelques scènes gracieuses ; les amours de Jacob et de Madeleine, le récit qu’ils se font de leur vie passée, l’appui qu’ils se prêtent l’un à l’autre au milieu de la défiance qui les enveloppe, tous ces épisodes ont fourni à M. Auerbach l’occasion de se retrouver lui-même. Sous cette fausse couleur qui gâte l’ensemble du tableau, on devine tout ce que pourrait faire l’imagination de l’écrivain. La Femme du professeur est un récit douloureux dont les émotions seraient encore plus pénétrantes, si l’auteur n’avait été gêné, comme dans les Repris de justice, par des préoccupations absolument contraires à l’art. Un peintre, en passant dans un village, est frappé de la beauté d’une jeune fille ; il s’arrête plusieurs jours, puis plusieurs semaines dans la rustique demeure, et finit par épouser la paysanne. Lorsqu’il retourne à la ville, lorsque, nommé peintre de la cour et professeur à l’école des beaux-arts, il est obligé de présenter sa femme au grand-duc, la simplicité de cette douce créature est maintes fois, vous le pensez bien, un sujet d’humiliation pour l’orgueilleux artiste. La pauvre femme souffre long-temps en silence, puis elle se décide à retourner dans son village, le cœur brisé, la vie empoisonnée à jamais. Tout le monde a lu dans le Théâtre de Clara Gazul les dramatiques aventures de don Esteban et d’Inez Mendo. M. Auerbach ; à coup sûr, ne s’est pas inspiré de M. Mérimée ; ce qui fait la fâcheuse originalité de son œuvre, c’est l’opposition presque constante qu’il établit entre le village et la ville : d’un côté, il n’y a que pureté et noblesse ; de l’autre, frivolité, absence de cœur, lâchetés indignes. Que nous sommes loin de l’ancienne inspiration de M. Auerbach ! J’accorde qu’il y a dans maintes pages la trace d’un talent d’élite ; j’admire la lettre si belle, si simplement éloquente, dans laquelle la pauvre femme explique à son mari qu’elle ne doit plus le revoir, et lui demande pardon des embarras qu’elle lui a causés : où est cependant le conteur qui nous peignait avec une vérité si franche le séminariste Ivon et le maître d’école de Lauterbach ? Ce conteur impartial, je le regrette surtout dans l’histoire de Lucifer. Un paysan esprit fort, un laboureur qui se révolte contre le catéchisme, et un beau jour, en pleine église, interrompt par une réfutation injurieuse le sermon du curé, tel est le héros de M. Auerbach, tel est le paysan Lucien que l’auteur appelle symboliquement Lucifer. Ici, décidément, nous ne sommes plus dans la petite commune de la forêt Noire. M. Auerbach a voulu faire une sorte de légende philosophique ; il a essayé de mettre en scène les questions abstraites qui se débattent dans l’école. La révolte de l’ange et la désobéissance de l’homme dans le paradis sont considérées par Hegel comme la figure mystique de la création ; Adam expulsé du paradis, c’est le fini sortant de l’infini, c’est la première journée du drame du monde. Que la philosophie cherche