Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/494

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne sont pas aussi frivoles qu’elles en ont l’air ; elles se rattachent à un ensemble d’idées qui reparaît sans cesse chez M. Justinus Kerner : M. Kerner a eu des fous et des somnambules dans sa famille, il a été entouré dès sa première enfance d’originaux, de mystiques, d’extravagans aimables, et lui-même… mais que vais-je dire ? J’ai voulu indiquer seulement, sous la légère ironie de ses tableaux, les tendres préoccupations du gracieux poète pour tous ceux dont les lutins invisibles ont dérangé la raison.

Les mystiques instincts du poète vont bientôt prendre leur essor. Justinus Kerner, ayant quitté Ludwigsbourg pour Maulbronn, trouve dans cette ville quelques-unes des plus étranges impressions de sa jeunesse. Il y a là un vieux cloître et une tour gothique qui jouent un grand rôle dans les tableaux de l’écrivain, sans compter les souvenirs du docteur Faust, lequel, au dire de Mélanchton, vivait dans les environs de Maulbronn, et y reçut maintes visites du diable. Ce n’est pas bien loin de ce cloître et de ses fantômes que Justinus Kerner, tourmenté par une maladie grave, fit un rêve fort singulier : il vit, par un beau clair de lune, le saint George placé au haut de la tour se remuer tout à coup, descendre gravement l’escalier de pierre, traverser le cloître et s’avancer vers lui. Il reconnut alors son frère George, qui lui dit : Vois l’horloge, le marteau a retenti douze fois, le coq a crié, l’ange a sonné de la trompe, et je suis mort. Mon frère, ajoute-t-il, est mort en effet douze ans après, en 1812. Dans ce même rêve, M. Kerner fit connaissance avec des personnes qu’il n’avait jamais vues et qui jouèrent plus tard un rôle important dans sa vie, avec celle, par exemple, qui fut depuis sa femme. On pense bien que M. Kerner ne raconte pas ces détails pour le plaisir de décrire des scènes nocturnes ; il est persuadé que de tels phénomènes méritent d’être approfondis, et l’aimable songeur, qui a écrit jadis tout un livre sur la Visionnaire de Prévorst, prend occasion de ce fait pour nous peindre la faculté qu’il a de pressentir l’avenir, don fatal qui l’a plus d’une fois tourmenté, et qu’il ne souhaite pas à ses lecteurs. Je me garderai bien de chicaner ici M. Justinus Kerner ; ce n’est pas moi qui contesterai des rêves qui nous ont valu la poésie éthérée de ce gracieux maître. Ce simple journal de son enfance est le meilleur commentaire de ses œuvres. On y voit quelles lectures l’occupaient à quinze ans et ouvraient à son esprit émerveillé les chemins du monde invisible. Le naturaliste genevois Bonnet, qui croyait à une ascension successive de tous les êtres vers des sphères supérieures, eut une grande influence sur sa pensée. Il lisait aussi Mesmer, se préparant déjà à cette philosophie subtile qui remplit tous ses poèmes et dont le magnétisme est l’ame. Ses promenades, ses herborisations dans les belles vallées du Neckar sont décrites avec fraîcheur. La mort de son père est un modèle de simplicité touchante, et