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Reinhardt, Souabe comme lui, qui avait quitté le Wurtemberg, simple candidat au ministère évangélique, et qui y revint plus tard diplomate au service de Napoléon, le comte Reinhardt, que M. de Talleyrand a spirituellement loué devant l’Académie des Sciences morales en 1838, et dont on vient de publier une très curieuse correspondance avec Goethe. C’est par lui que George Kerner sera engagé plus tard dans la carrière diplomatique ; alors il s’agissait surtout de défendre sa tête, de protéger ses amis, et le courage souvent téméraire de George n’évitait pas les occasions d’être utile. L’auteur cite plusieurs lettres écrites par l’ardent jeune homme au commencement de 93 ; il raconte aussi l’amitié de George Kerner avec Adam Lux, et donne quelques nouveaux détails sur cette tendre et héroïque victime. On comprend que de tels souvenirs ne se soient pas effacés de l’esprit du jeune Justinus ; il avait à peine sept ans, mais tous les yeux étaient tournés vers la France, et une lettre du frère George était un événement de famille.

Des peintures plus calmes succèdent à cet émouvant épisode : ce sont les portraits de ses frères Louis et Charles, ce sont ensuite les originaux de toute sorte dont la rencontre a égayé sa jeunesse : le prédicateur Zilling, qui donnait toujours, avant de commencer, le sommaire de son discours avec l’indication des mouvemens d’éloquence auxquels il promettait de se livrer ; le bourgmestre Kommerell, dont la perruque poudrée et les discours officiels sont parmi les plus vifs souvenirs de l’auteur, brave homme qui, voulant un jour haranguer Dumouriez et le duc de Chartres, resta court, et fut obligé d’appeler sa fille à son aide ; le poète Schubart, dont nous parlions tout à l’heure, alors maître de chapelle à Ludwigsbourg et persécuté de mille manières par le prédicateur Zilling, parce que l’orgue était plus suivi que le sermon ; le paysan Rapp, mystique à longue barbe, qui fonda plus tard aux États-Unis une colonie théocratique, patriarcale et communiste ; Mme de Gaisberg, femme d’esprit, mais un peu folle, absorbée par une incroyable passion pour les chats et passant sa vie à en nourrir plusieurs centaines dans sa maison, véritable couvent, dit l’auteur, dont elle était l’abbesse ; la sœur du philosophe Hegel, vieille demoiselle maigre, pâle, avec des yeux pleins de feu, une vivacité inouie et une bonté sans pareille : elle était institutrice chez M. le comte de Berlichingen, descendant du héros célébré par Goethe, et on lui avait confié la garde de la fameuse main de fer du vieux Goetz ; la pauvre fille tomba folle, elle se croyait changée en un paquet qu’on allait sceller, plomber et mettre au roulage ; chaque fois qu’elle apercevait un étranger, elle tremblait de tous ses membres, et sa peur enfin devint si forte, qu’elle alla se jeter à l’eau et s’y noya. Beaucoup d’autres figures du même genre, tracées avec une bonhomie parfaite, composent une excellente galerie du vieux temps. Ces choses-là, d’ailleurs,