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à notre âge de si effrayans problèmes. Je crois qu’il y a là une salutaire direction. Il s’en faut bien que l’histoire, la politique et la morale aient dit leur dernier mot sur le siècle de Voltaire et de Frédéric. C’est dans cette bizarre et puissante période du génie de l’homme que se serre mystérieusement le nœud qu’une période nouvelle doit délier. L’étude du XVIIIe siècle appelle les esprits d’élite, nos origines sont là ; là aussi, par conséquent, les devoirs que notre temps nous impose, les énigmes qu’il nous faut deviner, les questions de vie ou de mort dans lesquelles, bon gré mal gré, nous sommes enchaînés pour long-temps. Qu’y a-t-il à prendre, qu’y a-t-il à rejeter dans l’héritage de ce siècle ? Cette simple difficulté, si banale qu’elle paraisse, est comme le détroit périlleux où la société européenne menace perpétuellement de sombrer. C’est là que notre raison trébuche sans cesse, là que tant de gouvernemens ont péri. Si M. Strauss, M. Schlosser et M. Léopold Ranke ne s’attachent pas à cette grave étude avec toute l’attention qu’elle mérite, ils en comprennent cependant l’importance, et, quelle que soit la diversité de leurs conclusions, ils attirent de ce côté les préoccupations des penseurs ; l’érudition elle-même apporte son contingent à ce travail. C’est à ce groupe d’ouvrages consacrés au XVIIIe siècle que se rattachent deux belles monographies sur Gottsched et sur Lessing, dont un écrivain à la fois ingénieux et patient, M. Danzel[1], vient d’enrichir les lettres allemandes.

Bien qu’on ait souvent parlé de Gottsched, il restait plus d’une erreur à rectifier, plus d’une découverte à faire dans cette période un peu confuse où s’organise la littérature allemande. Le travail de M. Danzel restitue, avec une nouveauté piquante et, selon nous, avec un vif sentiment du vrai, cette singulière figure de Gottsched, tant de fois dénaturée par une critique superficielle. Gottsched a une mauvaise réputation ou plutôt une mauvaise place dans l’histoire littéraire de son pays. Il a rendu aux lettres allemandes les plus sérieux services, il s’est consumé en efforts inouis pour créer une littérature nationale, pour affermir et constituer la prose, pour provoquer des écrivains dignes d’être opposés aux autres nations de l’Europe. Ce que Joachim Dubellay a fait au XVIe siècle avec une si généreuse ardeur dans son petit traité, Défense et illustration de la langue française, Gottsched l’a fait pendant toute sa vie. Comme Dubellay, ce sont les chefs-d’œuvre grecs et latins qu’il a proposés à l’imitation de son pays ; il y a seulement ajouté les modèles du XVIIe siècle français, dont la gloire toute récente avait ébloui l’Europe. Sans doute, il y a peu d’originalité poétique chez Gottsched ; il ne faut pas le juger en le séparant

  1. Gottsched und seine Zeit (Gottsched et son Temps), par M. Danzel, privat-docent à l’université de Leipzig ; Leipzig, 1 vol. in-8o.