Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/482

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souple qui ordonne les faits sans les altérer : jamais du moins ce mauvais esprit révolutionnaire qui a flétri la poésie et la philosophie de ces derniers temps n’avait pénétré dans les domaines de l’érudition. Il y avait là comme un asile où les sérieuses qualités de l’ancienne Allemagne trouvaient à s’exercer sans bruit. Si M. Schlosser a cédé, comme je le crois, aux influences du dehors, si le ton de ce dernier volume n’est que l’écho du tapage démocratique, ce serait un triste événement littéraire. Je suis persuadé que M. Schlosser n’a pas voulu flatter la démagogie ; je trouve dans les bonnes parties de son livre, dans de curieux chapitres sur la littérature allemande au commencement de ce siècle, une aversion très vive pour le charlatanisme. Avec de telles dispositions, on ne doit pas être dupe des tribuns. Ce que je lui reproche surtout, c’est cette faiblesse, cette légèreté qui lui fait répéter à son insu le langage du carnaval des clubs. Lorsque M. de Raumer veut nous donner son opinion sur les choses présentes, il écrit des volumes ad hoc, il nous raconte son ambassade auprès de M. Bastide ; ce n’est pas du moins dans un travail d’érudition et de recherches qu’il donne cours à son bavardage. Si M. Schlosser éprouvait les mêmes tentations, que ne publiait-il deux volumes pareils à ceux de M. de Raumer ? Chacun est libre de compromettre son nom ; M. Schlosser, en introduisant ce style des aventuriers dans une œuvre historique, a commis une faute plus grave : il a ouvert la brèche par où le grossier esprit du jour envahira peut-être le seul domaine littéraire qu’il eût respecté jusqu’ici.

On devient plus reconnaissant, lorsqu’on voit de telles choses, envers les esprits élevés qui poursuivent laborieusement leur tâche sans rien accorder aux folies qui nous harcèlent. À M. de Raumer ambassadeur de Francfort et admirateur béat de nos démocrates, à M. Schlosser si fâcheusement excité par la fièvre de 1848, je suis heureux d’opposer les récens travaux de M. Léopold Ranke. Il y a long-temps que M. Léopold Ranke a fait ses preuves, et qu’il s’est placé à la tête des historiens de l’Allemagne. Son érudition est ingénieuse, son style est simple et sévère. Il excelle surtout à renouveler un sujet par toutes les ressources du savoir et de la sagacité. S’il y a, dans les histoires dont il s’occupe, quelque matière à la fois sérieuse et délicate, quelque subtil problème négligé par les chroniqueurs vulgaires, soyez sûr que les investigations de M. Ranke se porteront de ce côté-là. Personne plus que lui n’a horreur du lieu commun ; sur la papauté depuis Luther, sur l’histoire de l’Allemagne au XVIe siècle, M. Ranke a écrit des ouvrages où tout est nouveau, où l’érudition a je ne sais quoi de spirituel et d’original, où une lumière inattendue éclaire et transfigure les notions admises. Ce n’est pas en effet par un vain amour de la singularité que M. Ranke dirige ainsi ses recherches : les curieuses découvertes