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menteuse qui prend la grossièreté pour l’indépendance. Dans ses précédens volumes, M. Schlosser reprochait à Gibbon son corps d’hippopotame et sa face de plum-pudding, il prétendait que Voltaire a écrit des hymnes dans le ton de la Marseillaise ; ce n’étaient là que des espiègleries doctorales, des fantaisies humoristiques d’un goût suspect. Aujourd’hui le ton est tout différent : M. Schlosser appelle Chateaubriand un jésuite, Fontanes une créature de la sceur de Napoléon, et Joubert un vulgaire rhéteur ; il nous représente Mme de Staël comme un diplomate égoïste qui exploite à son profit la vanité féminine de Marie-Joseph Chénier, l’infatuation bavarde de Benjamin Constant et la verve caustique de M. de Talleyrand. Il conclut enfin ce beau chapitre en immolant André Chénier et Chateaubriand à Mme Sand. Je ne m’attache pas qu’on veuille bien le croire, à des détails insignifians. M. Schlosser annonce pompeusement, dans le titre même de son livre, qu’il a donné une attention spéciale à l’histoire des idées, et ce dernier volume contient en effet tout un tableau de la littérature française au commencement du XIXe siècle. L’auteur avait ici d’excellens modèles à suivre ; sa tâche était toute préparée par les études de la critique moderne. Pourtant M. Schlosser, excité par les fumées de la démocratie, n’a pu pardonner à M. Sainte-Beuve son goût de la société polie et l’empressement avec lequel il met en lumière la renaissance littéraire et morale de 1800. C’est au nom de la démocratie offensée que M. Schlosser s’est cru obligé à contredire et à persifler M. Sainte-Beuve. Vous cherchez comment un écrivain allemand aura apprécié les éclatantes hardiesses de Chateaubriand, l’éloquence émue de Mme de Staël, les lumineuses finesses et le platonisme éthéré de Joubert : vous rencontrez de lourdes railleries adressées à M. Sainte-Beuve, une caricature maussade de ses plus ingénieuses délicatesses. M. Chasles, à propos des précédens volumes de l’auteur, avait déjà parlé très justement ici de « ses outrecuidances erronées. » C’est le mot le plus indulgent dont on puisse se servir pour qualifier les aménités littéraires du docteur allemand. En voulez-vous un échantillon ? Voyez quelle gravité dans son langage et quel respect de la vérité : « Le bon Sainte-Beuve glorifie dans Joubert le retour de la littérature polie, il ne comprend pas que la démocratie devait se créer une littérature… Le bon Sainte-Beuve ne comprend pas qu’André Chénier avait introduit en France la forme grecque, laquelle, bien différente de la littérature des salons, allait renouveler la poésie, influer sur Chateaubriand lui-même à son insu, et produire sous la restauration les romans de George Sand. »

L’histoire n’était pas habituée, chez nos voisins, à de telles irrévérences de pensée et de style. On lui reproche à bon droit le manque de vie, l’absence de composition ; on regrette de ne pas y trouver l’énergique sentiment des choses réelles et cette faculté puissante et