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détrônant Dieu, voulait que la dignité humaine profitât de cette grande révolution ; or, c’est le contraire qui arrive, le monde moral s’écroule, et le genre humain, livré à lui-même, est plongé par les jeunes hégéliens dans une abjection bestiale. Alors M. Strauss se révolte ; pour retrouver la figure de l’homme dans sa véritable beauté, il remonte le cours des âges et oppose le panthéisme naïf de la Grèce au panthéisme effréné de son pays. C’était bien la peine d’avoir si long-tems prêché, d’après Hegel, la marche incessante, l’irrésistible développement de l’esprit infini à travers le monde ! M. Strauss n’en restera pas là ; il est lui-même, comme le personnage qu’il étudie, une intelligence troublée. Seulement il cherche ; il aspire à une solution, il semble impatient de vaincre les difficultés qui l’obsèdent, et, puisqu’il est sincèrement préoccupé de notre noblesse morale, il reconnaîtra un jour que l’existence d’un Dieu personnel et libre est la condition essentielle de la dignité de l’homme.

Si graves que soient les objections provoquées par le travail de M. le docteur Strauss, il faut remercier l’écrivain d’avoir rompu avec les théories révolutionnaires, et d’être revenu sagement, laborieusement, à cette réforme intérieure qui semble aujourd’hui la constante préoccupation de son esprit. L’exemple de M. Gervinus est peut-être plus décisif encore. En terminant son importante histoire de la poésie germanique, M. Gervinus conseillait aux poètes de laisser reposer désormais les domaines de l’imagination. Pour une moisson nouvelle, disait-il, il faut un sol renouvelé ; attendons que le terrain de la vie publique ait été défriché vaillamment, travaillons-y nous-mêmes ; ouvrons une carrière militante, ouvrons la grande route de l’histoire à ce peuple paresseux, pour qui il n’y a qu’une seule vie digne d’estime, la vie intellectuelle, et une seule forme de la vie intellectuelle, la vie qui s’enferme dans le monde des livres. Tel était le résultat qu’avait produit chez M. Gervinus cette longue intimité avec les écrivains de son pays : un profond dégoût des choses littéraires. Quand la révolution éclata, M. Gervinus fut un des premiers à jeter l’Allemagne dans les aventures. Il était à Heidelberg de ce comité des sept qui prit l’initiative des mesures hardies ; il convoqua l’assemblée des notables et siégea au parlement de Francfort. S’il quitta ensuite l’église Saint-Paul, ce fut pour soutenir dans son journal ce parti des professeurs qu’il craignait de servir moins utilement à la tribune. Le journal de M. Gervinus, la Gazette allemande, acquit en peu de temps une grande autorité dogmatique ; il reproduisit toutes les phases du parlement de Francfort, il s’associa avec passion à ses espérances, à ses victoires d’un jour, à ses irréparables défaites. Désabusé aujourd’hui par cette décisive expérience, M. Gervinus reprend avec amour et n’abandonnera plus, il faut l’espérer, ses beaux travaux d’histoire littéraire.