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l’Art, nous annonce tout un âge d’or préparé à la poésie par l’année 1848. Les autres, et ceux-là surtout qui ont le plus contribué à répandre cette fausse idée, confessent leur erreur et reprennent, sans se soucier de la révolution, leur tâche d’autrefois. Je citerai au premier rang, comme exemples de ce repentir fécond, deux hommes qui se sont fait une place à part dans des routes diverses, deux écrivains qui ont singulièrement ému les esprits, celui-ci par ses témérités théologiques, celui-là par l’âpreté de ses théories littéraires, M. le docteur Strauss et M. Gervinus.

La conduite de M. Strauss après la révolution mérite d’être remarquée. Candidat au parlement de Francfort, il s’est expliqué loyalement avec les laboureurs et les vignerons de son pays sur le sens de ses écrits théologiques, et n’a pas craint de rompre en bien des points avec la jeune école hégélienne. Nommé peu de temps après membre de l’assemblée constituante du Wurtemberg, il a quitté cette assemblée où la violence des démocrates ne respectait pas la liberté de ses votes. Il a repris alors ses travaux interrompus, et le livre qu’il nous donne aujourd’hui est le résultat de cette bonne pensée. Dans les derniers temps qui ont précédé la révolution, M. Strauss semblait avoir renoncé à l’exégèse ; des études d’histoire et de critique littéraire l’occupaient de préférence, et il était permis de croire que le littérateur tenait à rectifier le théologien. Telle est la tâche à laquelle M. Strauss est revenu. Retrouver sa voie au milieu d’une crise qui bouleverse tout, c’est la marque d’une intelligence élevée et d’une volonté qui se possède. M. Strauss a donné cet exemple. Tandis que ses amis d’autrefois se jettent éperdument dans la démagogie, le novateur, jadis si redouté, continue sa réforme intérieure ; il cherche dans des études de biographie et d’histoire un refuge contre les folies du panthéisme, et il publie sa Vie de Schubart[1].

Schubart est l’une des plus curieuses figures de l’Allemagne au XVIIIe siècle. Aventurier, musicien, poète, publiciste, nature impétueuse et caractère indécis, ce singulier personnage, dont l’existence a été traversée de tant de misères, offre un intérêt sérieux au moraliste. M. Strauss a pieusement recueilli toutes les lettres de son infortuné compatriote, et c’est à l’aide de cette correspondance, entremêlée d’ingénieuses études, qu’il reproduit cette dramatique destinée. Il y a dans la vie de Schubart un douloureux événement qui la divise en trois périodes distinctes ; l’ardent publiciste de la Chronique allemande est resté enfermé dix ans dans une prison d’état. Avant, pendant et après la captivité, tel est le plan de M. Strauss. La première période

  1. Schubart’s Leben in seinen Briefen (Vie de Schubart d’après ses Lettres), par M. David-Frédéric Strauss ; 2 vol. Berlin, 1849.