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la scène, fait agir, pendant qu’un aide, placé en vue des spectateurs, explique dans le plus grand détail l’action représentée. Nous avons sous la main une charmante description de ce genre de spectacle tracée par Michel Cervantes ; nous ne ferons que la rappeler.

Un titerero de passage dans une hôtellerie de la Manche, maître Pierre, après avoir dressé et découvert son théâtre, qu’une infinité de petits cierges allumés rendent magnifique et resplendissant, se glisse dans le réduit ménagé derrière la toile du fond pour faire de là mouvoir sa troupe de comédiens artificiels. Sur le devant vient se placer un jeune garçon, son valet, chargé d’interpréter et d’expliquer tout ce qui va se passer de mystérieux sur la scène. Il tient à la main une baguette, pour désigner chacune des figures qui paraîtront. Quand tous les gens de l’hôtellerie se sont rassemblés devant le théâtre et que don Quichotte et Sancho se sont installés dans les meilleures places, le truchement, ainsi que l’appelle Cervantes, commence sur le ton épique le récit très circonstancié de l’aventure mise en action par la petite troupe de carton peint[1].

Cette manière de représenter les marionnettes, que je crois avoir été en usage et peut-être même la seule en usage au moyen-âge, continue de l’être quelquefois encore, et a donné lieu, en Portugal et en Espagne, à une coutume remarquable. Par tous pays, les aveugles vont chantant sur les chemins des romances et des complaintes. Dans la Péninsule, les pauvres aveugles, qu’aucune institution publique ne recueille, joignent très souvent à leurs chansons un petit théâtre de marionnettes. Un enfant fait, tant bien que mal, agir les poupées, pendant que l’aveugle chante ou récite l’aventure représentée, qui est presque toujours une victoire gagnée sur les Mores ou une légende de saint.


IV. – THEÂTRE DE MARIONNETTES DANS LES VILLES.

Outre les marionnettes qu’on promène de villages en villages, il y a dans toutes les grandes cités de petits théâtres de titeres, installés les uns dans des salles closes, les autres en plein air, sur les places publiques. La première mention que je rencontre d’un théâtre de ce genre en Espagne se trouve dans l’histoire, très amusante et fort utile pour l’histoire des vieilles mœurs espagnoles, de la picara Justina, qui raconte quelques particularités de la vie de son bisaïeul, joueur de marionnettes à Séville au milieu du XVIe siècle[2]. Dans ces théâtres, d’un ordre plus relevé que ceux qui parcouraient les campagnes, on employait

  1. Don Quijote, part. 2a, cap. 25 et 26.
  2. Voyez El libro de entretenimiento de la picora Justina, compuesto por el licenciado. Francisco de Ubeda, natural de Toledo ; Brucellas, 1608, p. 60 et 61.