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« Après que la messe fut finie, le roy d’Espagne fut plus d’un quart d’heure sans pouvoir sortir de l’église, ni toute la procession. La raison étoit qu’il fallait attendre que les danseurs et les machines qui font partie de cette procession fussent passés. Je pris ce temps pour m’en aller à un balcon de la maison où j’avois couché, à vingt pas de l’église Je vis d’abord environ cent hommes habillés de blanc, dansant avec des épées et des sonnettes aux jambes. Après cela, dansoient cinquante petits garçons avec des tambours de basque, et ceux-ci et ceux-là avec des masques de parchemin ou de tavaïoles à claire-voie. Ensuite marchoient sept figures de roys maures, chacun sa femme derrière luy, et un saint Christophe, le tout de la hauteur de deux piques, de sorte qu’on voyoit des têtes grosses comme un demi-muy, qui alloient du pair avec les toits. Il sembloit que vingt hommes n’eussent pas pu porter la moins lourde ; cependant deux ou trois hommes cachés dedans les faisoient danser. Elles sont d’osier et de toile peinte, mais si estrangement que cela donne d’abord de la frayeur. Dix ou douze petites et grosses machines suivoient pleines de marionnettes. Entr’autres, je remarquay un dragon, gros comme une petite baleine, sur le dos duquel sautoient deux hommes avec des postures et des contorsions si extravagantes, qu’ils sembloient estre possédez…[1]. »

Ces singulières dévotions se sont certainement prolongées dans toute la Péninsule bien au-delà de cette époque, et probablement jusque dans le cours du XIXe siècle ; mais cet échantillon me paraît suffire.


III. – MARIONNETTES POPULAIRES AMBULANTES.

Dès le temps de Covarruvias (1611), les joueurs de marionnettes qui promenaient leurs théâtres et leurs pantins de bourgs en bourgs étaient presque tous des étrangers[2]. Il en est encore de même aujourd’hui. Quand je dis aujourd’hui, je n’entends parler que des premières années de ce siècle, ne connaissant pas assez bien, je l’avoue, tous les progrès qui s’accomplissent chaque jour dans les mœurs de la Péninsule. En Portugal, ce sont surtout des Italiens qui montrent l’optique et la lanterne magique, ce qu’on appelle vulgairement dans la Péninsule tote limondi[3], et ce que nous appelons la curiosité. En Espagne, parmi ces artistes nomades, on compte bon nombre de bohémiens. D’ailleurs, nous trouvons dans ces deux contrées des traces de toutes les variétés connues de marionnettes. Il y en a qu’on ne montre qu’à mi-corps et qu’on ne fait jouer qu’avec la main ; il y en a qui se meuvent par des fils, d’autres par des contre-poids ou par des ressorts. Les plus anciennes, si je ne me trompe, celles qui se rattachent directement à l’antiquité, ce sont les marionnettes muettes, celles que le titerero, retranché derrière

  1. Œuvres de M. de Montreuil ; Paris, Barbin, 1671, p. 272-274.
  2. Tesoro de la Lengua Castellana, vote Titeres. Cf. Figueroa, Plac., dise. 92.
  3. Ou tutti li mondi ; ce qui indique une origine italienne.