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À Naples, c’est encore M. Beyle qui va nous faire assister à une représentation de ce qu’il appelle les marionnettes satiriques. Après un serment fort sérieux d’être à jamais discret, il fut admis à prendre part à une de ces petites débauches de malice, dans une famille de gens d’esprit, ses anciens amis. La pièce était intitulée : Si fara si o no un segretario di stato ? Aurons-nous un premier ministre ? Le ministre en charge (par conséquent le ministre à remplacer) est don Cechino, autrefois libertin fort adroit et grand séducteur de femmes, mais qui maintenant a presque tout-à-fait perdu la mémoire. Une scène dans laquelle don Cechino donne audience à trois personnes, un curé, un marchand de bœufs et le frère d’un carbonaro, qui lui ont présenté trois pétitions différentes qu’il confond sans cesse, rappelle, en la surpassant peut-être, la scène du drap et des moutons que brouille si plaisamment M. Guillaume dans la farce de Patelin. Ici son excellence parle au marchand de bœufs de son frère, qui a conspiré contre l’état et qui subit une juste punition dans un château-fort, et au malheureux frère, de l’inconvénient qu’il y aurait d’admettre dans le royaume deux cents têtes de bœufs provenant des états romains. On conçoit les rires !

Dans les marionnettes de société, il y a, pour faire parler les acteurs, autant de prête-voix, si je puis m’exprimer ainsi, que de rôles dans la pièce. Les gens d’esprit qui se plaisent à ce badinage, et qui servent d’interprètes aux personnages considérables que l’on met en scène, les ont vus souvent la veille ou le matin, et peuvent ainsi imiter, à s’y méprendre, leur accent, leurs tics et la tournure de leurs idées. M. Beyle a raison de dire que cette raillerie fine, naturelle et gaie, contenue dans les bornes des convenances et du bon goût, est un des plaisirs les plus vifs qu’on puisse se procurer dans les pays despotiques.

Avec une passion aussi prononcée, aussi générale et aussi persistante pour les marionnettes, il ne faut pas s’étonner que les Italiens aient porté ce genre de spectacle presque à sa perfection dans leur pays, et l’aient propagé, comme nous allons le voir, dans presque toutes les contrées de l’Europe.


LES MARIONNETTES EN ESPAGNE.
I. – INFLUENCE ITALIENNE.

Le premier nom que nous rencontrons dans l’histoire des marionnettes espagnoles est celui d’un habile mathématicien d’Italie, Giovanni Torriani, surnommé Gianello, né à Crémone, et célèbre dans toute l’Espagne pour plusieurs grands travaux de mécanique et d’hydraulique[1]. Un des plus doctes critiques de cette contrée, Covarruvias,

  1. Tiraboschi, Stor. della letterat. italiana, t. VIII, part. 1a, p. 169 et 468 ; part. 3a, p. 463. Roma, 1784, in-4o.