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V. – EE GRAND OPERA AUX MARIONNETTES.

Ce qui me reste à dire du répertoire des burattini de Rome sera une preuve singulière et bien remarquable de la mélomanie de la population romaine. Le croirait-on ? les marionnettes du palais Fiano jouent et chantent tout le répertoire de Rossini. Ce fait m’est attesté par M. Peisse, qui a bien voulu m’adresser, à ce sujet, une note que je transcris : « Les burattini de Rome ne jouent pas seulement des farces et des pièces comiques ; ils jouent encore des opera seria, Otello, par exemple, Semiramide, etc., tout entiers, avec les ballets, le chant, l’orchestre (composé de cinq ou six instrumens). Il m’est arrivé de m’amuser et de m’émouvoir à ce spectacle, avec le bon peuple romain, comme si j’étais à San Carlo ou à l’Opéra de Paris. Les gestes et les mouvemens des figures, quoique peu variés, ont leur justesse et leur force, même dans les situations pathétiques et tragiques.

J’ajouterai que, dès les premières années du XVIIIe siècle, l’abbé Du Bos avait vu représenter en Italie de grands opéras par une troupe de marionnettes de quatre pieds de haut que l’on appelait bambocchie ou bamboches[1]. La voix du musicien qui chantait pour elles sortait par une ouverture pratiquée sous le plancher de la scène. L’abbé Du Bos nous apprend même qu’un cardinal illustre, étant encore jeune, fit représenter ainsi, pendant quelque temps, des opéras dans son hôtel.


VI. – MARIONNETTES CHES LES PARTICULIERS.

Le goût des marionnettes chantantes, dansantes et babillantes est trop vif et trop généralement répandu en Italie pour que la haute société et même la bourgeoisie n’aient pas songé à se procurer ce plaisir à huis-clos. On ne sait nécessairement que peu de chose de ces divertissemens intimes. On peut supposer néanmoins, autant qu’il est permis d’en juger par quelques indiscrétions, que ces pièces jouées en petit comité ne sont ni très prudes ni très charitables. Un soir, à Florence, M. Beyle fut introduit dans une société de riches marchands. où il y avait un théâtre de marionnettes : « Ce théâtre, dit-il, est une charmante bagatelle qui n’a que cinq pieds de large, et qui pourtant offre la copie exacte d’un grand théâtre. Avant le commencement du spectacle, on éteignit les lumières du salon… Une troupe de vingt-quatre marionnettes de huit pouces de haut, qui ont des jambes de plomb, et qu’on a payé un sequin chacune, joua une comédie un peu libre, abrégée de la Mandragore de Machiavel. »

  1. Réflexions sur la Poésie de la Peinture, t. III, p. 244, éd. De 1755.