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seul dans chaque statuette, et ce fil était toujours tendu. J’ai vu beaucoup d’autres figures de bois mises en mouvement par plusieurs fils alternativement fendus et détendus, ce qui n’a rien de merveilleux. Je dirai encore que c’était un spectacle vraiment agréable que de voir combien les gestes et les pas de ces poupées étaient d’accord avec la musique[1]. »


L’auteur, comme on voit, n’indique pas l’office que remplissait le second Sicilien. La miniature, au contraire, nous montre les deux bateleurs concourant à une action commune. Dans l’appareil décrit par Cardan, un seul joueur semblerait pouvoir suffire, comme dans nos marionnettes du dernier ordre, celles que les petits Savoyards font danser dans les rues au son d’un flageolet ou d’un tambourin, en agitant avec le genou la ficelle attachée à leur poupée, qu’ils nomment Cathos ou Catherinette[2]. Cependant, s’il n’eût été question que d’une chose aussi simple, l’esprit subtil de Cardan ne se serait pas tant émerveillé. Il me paraît vraisemblable que ce prétendu fil unique et toujours tendu était un petit tube par lequel passaient plusieurs fils très fins, réunis dans l’intérieur de la poupée et dont le jeu était ainsi soustrait aux regards. Nous verrons tout à l’heure un procédé à peu près semblable.

Le second passage de Cardan, celui qui fait partie du traité de Subtilitate, n’a trait qu’aux marionnettes ordinaires ; mais l’auteur est si frappé de l’illusion qu’elles produisent, qu’il n’hésite pas à les placer dans la partie de son ouvrage qui traite de mirabilibus et modo representandi res varias proeter fidem[3] : « Si je voulais, dit-il, énumérer toutes les merveilles que l’on fait exécuter, par le moyen de fils, aux statuettes de bois vulgairement appelées magatelli, un jour entier ne me suffirait pas, car ces petites figures jouent, combattent, chassent, dansent, sonnent de la trompette et font très artistement la cuisine. »

On voit, entre autres choses, dans ce passage, que vers l’année 1550 on appelait, dans l’Italie du nord, les marionnettes du nom latinisé de magatelli, que je ne trouve dans aucun vocabulaire. Il se pourrait que magatelli (par le changement fort naturel des labiales b et m) ne fût qu’une variante de bagatelli, et cela me semble d’autant plus probable qu’on appelle en Italie bagatelle les amusemens de la place publique et bagatellieri tous les saltimbanques, y compris les joueurs de gobelets et de marionnettes[4].

  1. Hieron. Cardani Medionalensis medici Opera, p. 492. — Cardan, natif de Pavie, a exercé la médecine à Milan.
  2. Ce petit spectacle des rues a été souvent gravé. Voy. une vignette de Charlet, en tête d’un quadrille pour piano de J. Klemczynsky, intitulé les Marionnettes ; Paris, 1842.
  3. De Subtilitate, lib. XVIII ; Nuremberg, 1550, p. 542, et Opera, t. III, p. 636.
  4. Le voyageur Pietro della Valle compare les gens qui montraient de son temps la lanterne magique, les ombres chinoises et les marionnettes dans les rues de Constantinople, aux bagatellieri qui remplissaient le même office sur le largo di Castello à Naples et sur la place Navone à Rome.