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qu’on vit apparaître, après une vive opposition, le crucifix complet avec le corps du Christ sculpté en ronde bosse.

La plastique, comme on le voit, n’a point été la base et le principe générateur de l’art chrétien, ainsi qu’elle l’avait été de l’art hellénique. La peinture a devancé chez les modernes, et a constamment primé la statuaire. Cette différence s’explique par la contrariété des doctrines. La sculpture, expression directe et saillante de la beauté des formes, était la langue naturelle du sensualisme païen. La peinture, moins matérielle, plus transparente en quelque sorte, plus apte à refléter la beauté intérieure et à traduire les impressions morales, est un langage plus compréhensif et mieux approprié à la spiritualité de nos croyances. Ainsi, tandis qu’en Grèce l’artiste initiateur et mythique a été un sculpteur, Dédale ; chez nous, un apôtre peintre, saint Luc, est honoré par la dévotion populaire comme le type idéal de l’artiste chrétien[1].

Cependant, quoique moins sympathique au christianisme que plusieurs autres arts, la plastique n’a point fait défaut à ce que l’église était en droit d’attendre d’elle. Au premier appel du clergé, elle a produit le crucifix de ronde bosse ; mais l’école liturgique, (j’entends celle qui se proposait de toucher l’ame par les sens), mécontente de la raideur des premiers simulacres, essaya, comme avait fait le sacerdoce en Grèce, de donner aux représentations sacrées, au crucifix lui-même, une mobilité artificielle.


II. – CRUCIFIX ET MADONES MUS PAR DES FILS.

Si je ne voulais éviter d’appuyer plus qu’il ne convient sur cette partie de mon sujet, je pourrais recueillir parmi les traditions qui ont cours, surtout en Italie et en Espagne, plusieurs histoires de crucifix et de madones[2] célèbres pour avoir fait des gestes, et même pour avoir marché. Je pourrais citer le crucifix qu’on dit avoir incliné la tête pour approuver les décisions du concile de Trente, ou bien encore le crucifix votif de Nicodème, le Voto santo, qui, suivant la croyance admise à Lucques, traversa la ville pour se rendre de la chapelle de Saint-Frédien à la cathédrale, en bénissant sur son passage le peuple émerveillé, et qui, un autre jour, dit-on (car que ne dit-on pas à Lucques du Voto santo ?) donna son pied à baiser à un pauvre ménestrel, peut-être joueur de marionnettes. Ce ne sont là, je le sais, que des légendes,

  1. Une tradition peu éclairée attribue à saint Luc une foule de petits portraits de Jésus-Christ et de la Vierge, qui sont, surtout à Rome, l’objet d’une superstitieuse vénération. Lanzi croit que ces images, de style archaïque, sont l’œuvre d’un ancien peintre florentin nommé Luca, qui vivait au XIe siècle. Voyez Stor. pittor., t. I, p. 349.
  2. On appelait au moyen-âge les madones marioloe : « Mariola, imago sanctoe Virginis. » Ducange, Glossar. med. et infim. Latin.