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accoutumée, les deux fugitifs ne cessaient d’entendre par intervalles ; à droite, à gauche et surtout derrière eux, cette voix implacable. Frappés d’une terreur mortelle, ils erraient à travers les broussailles, sans avoir le temps de reconnaître leur route. Il semblait qu’un ennemi acharné sur leurs traces les poussât devant lui, comme le vent chasse la feuille morte. Faustin, que la fièvre dévorait, frissonnait sous sa lourde peau d’ours ; Étienne soutenait son père chancelant, et ils marchaient sans oser faire halte pour respirer. Pareil à un vieux cerf aux abois qui sort d’un étang et ne peut plus ranimer ses jambes raidies, le vieillard trébuchait et se heurtait aux racines des arbres ; Étienne, que la faim tourmentait, ne distinguait pas même à travers les branches les fruits sauvages que le soleil faisait mûrir à portée de sa main.

— Mon garçon, disait le vieux Faustin d’une voix éteinte, les vois-tu ? — Non, mon père ; mais je les entends toujours.

— Ils sont nombreux, n’est-ce pas ? Oh ! si Antoine était avec nous, nous pourrions nous adosser aux arbres et les attendre de pied ferme…

— Oh ! oui, mon père, il y en a beaucoup. Partout où nous allons, leurs cris retentissent ; ils sont disséminés dans la forêt et donnent la chasse à ceux qui se sauvent comme nous.

Puis ils se regardèrent sans rien dire, effrayés de se voir l’un et l’autre dans un tel état d’accablement. Il ne leur venait pas à la pensée qu’ils eussent à attendre aucun secours du côté des habitations ; ils les croyaient attaquées et livrées au pillage. Cependant on ne les oubliait pas. Antoine, accompagné du planteur, faisait en ce moment même des efforts surhumains pour découvrir quelque indice de leur retraite. Rien ne le décourageait. Quand il vit que les voisins les plus rapprochés ne comprenaient pas même les questions qu’il leur adressait, il résolut de poursuivre ses investigations. Il supplia donc le planteur de l’aider à pousser une reconnaissance jusque sur les bords de la Sabine ; il lui restait une vague espérance qu’Étienne aurait pu chercher un asile aux lieux mêmes où, quelques mois auparavant, ils avaient découvert l’Indien endormi. Les difficultés de la route rendaient le trajet long et difficile ; à l’entrée du marais, il fallut mettre pied à terre et confier les chevaux aux nègres. Antoine cherchait à reconnaître les passages ; il sautait à droite et à gauche, examinant les joncs, sondant la vase mouvante. Tout à coup il s’arrêta : Entendez-vous ? dit-il à voix basse au planteur qui le suivait.

Celui-ci prêta l’oreille. — C’est le cri d’un Indien, répondit-il ; allons chercher les noirs.

Le hurlement retentissait toujours, strident comme la clameur hideuse