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gracieuses et des ornemens pour ses robes de bal. Si loin de la France et des modes nouvelles, les jeunes créoles s’évertuaient à inventer tout ce qui pouvait donner à leur toilette de l’originalité et de l’éclat. Le voisinage des forêts ne jetait dans leurs cœurs aucune teinte de mélancolie. Les planteurs de la Haute-Louisiane ne ressemblaient en rien aux émigrans attristés qui emportent au fond de l’ame le regret de leur patrie : établis depuis plusieurs générations sur les bords de la rivière Rouge, ils s’y trouvaient à merveille et acceptaient franchement la nature sauvage qui les environnait. Heureux d’une existence large et libre qui empruntait son plus grand charme aux plaisirs de la chasse et aux libres excursions dans les bois, ils défrichaient le sol lentement et avec mesure. La culture étendait ses conquêtes chaque jour, mais pas à pas et d’une façon presque insensible. La civilisation coudoyait la barbarie. À quelques lieues d’une habitation où régnaient le luxe et l’urbanité de la vieille Europe, on rencontrait au fond d’une clairière un Indien presque nu, pauvrement armé, se glissant à travers les broussailles d’un pas furtif, honteux d’être surpris par l’homme civilisé dans les mystères de sa vie sauvage et vagabonde. Un jour, il y avait bal dans ces vastes maisons gracieusement assises au bord de la rivière ; le lendemain, ceux-là même qui avaient passé la nuit à danser campaient le long des lacs et dormaient par terre, roulés dans une couverture de laine, ayant sous la tête un tronc d’arbre pour tout oreiller. Le petit blanc surtout poussait au suprême degré cette gaieté insouciante, cette vivacité pétulante qui fait le fond du caractère créole. Placé entre le planteur à l’esprit plus ou moins cultivé et l’enfant des forêts ignorant et grossier, il participe à la fois de ces deux types extrêmes et se rapproche de l’un ou de l’autre, selon qu’il obéit aux lumières de son intelligence ou qu’il se laisse aller aux mouvemens irréfléchis de son instinct. Ainsi, tant que le grand Canadien Antoine se trouvait dans la famille du planteur, influencé par l’exemple de mœurs plus douces, de formes plus polies, il redevenait à son insu l’honnête et calme descendant des fermiers qui vinrent de Normandie s’établir aux bords du Saint-Laurent. Quand il rentrait dans le bois, ces impressions s’effaçaient trop vite ; la solitude et le silence, qui portent la terreur et l’abattement dans les cœurs faibles, lui redonnaient au contraire une énergie qui allait jusqu’à l’exaltation. Fier de sa jeunesse et de sa force, il marchait la tête haute ; il voulait en quelque sorte dominer cette puissante nature que la main de l’homme n’avait point encore domptée.

À peine de retour dans sa cabane, le grand Canadien se mettait en route, explorant le pays, parcourant sans relâche les halliers et le bord des lacs ; les rives de la Sabine lui offraient surtout d’excellentes réserves pour le gros gibier. Les ours noirs fréquentaient les terres basses