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tiède des derniers beaux jours. Sur les racines des cyprès, sur les branches mortes abattues par le vent et qui flottaient au hasard, des centaines de petites tortues se chauffaient au soleil, échelonnées en longues files, la tête allongée, prêtes à se laisser choir et à plonger au moindre bruit. De grands oiseaux de proie, les uns lents et lourds comme la buse, les autres sveltes et légers comme le faucon, rasaient de l’aile les joncs et les clairières, ou passaient avec la rapidité de l’éclair sur la cime des bois. Quelquefois un sourd murmure traversait l’espace, pareil au frisson d’une brise subite qui agite le feuillage : c’était une bande de ramiers qui passait et se balançait en l’air, cherchant où se poser. Aucune bête dangereuse ne hantait, au moins pendant le jour, ces solitudes trop voisines des plantations ; Marie s’y lança donc sans crainte. Elle galopa hardiment, côtoyant les flaques d’eau autour desquelles des cyprès chargés de longues mousses, des magnolias gigantesques et des platanes séculaires formaient des voûtes impénétrables aux rayons du soleil, suivant au hasard les sentiers à demi effacés qui serpentaient à travers de frais vallons parmi les saules et les tulipiers. Après quelques heures de promenade, elle s’aperçut que le pays devenait plus sauvage et songea à revenir sur ses pas. Retrouver sa route dans les bois n’est pas chose facile. Elle erra quelque temps, sans pouvoir sortir de ce labyrinthe de halliers qu’elle trouvait si gracieux tout à l’heure, et qui commençait à l’effrayer.

Dans cette perplexité, la jeune fille s’arrêta, inquiète et tremblante, prêtant l’oreille, désirant et craignant à la fois d’entendre quelque bruit ; puis elle marcha de nouveau, d’abord au pas et bientôt de toute la vitesse de son cheval. Des coups de fusil qui retentissaient dans le lointain venaient de lui apprendre dans quelle direction se trouvaient les chasseurs. En quelques minutes, elle découvrit un grand lac bordé de buissons épineux et couvert d’une forêt de roseaux. Des nuées de canards, arrivant de tous les points de l’horizon, s’abattaient sur les eaux, plongeaient et barbotaient en battant de l’aile, et tout à coup, la détonation d’une arme à feu les forçant à se lever de nouveau, ils tournoyaient avec effroi au-dessus des joncs. Les grands bois qui enveloppaient le lac de toutes parts formaient comme un cercle fatal que ces oiseaux ne pouvaient se décider à franchir, et, tandis qu’ils se berçaient d’un bord à l’autre, les deux chasseurs se les renvoyaient alternativement. Il en tombait donc un grand nombre ; subitement arrêtés dans leur vol, morts ou blessés, ils venaient donner tête baissée dans les herbes flottantes ou restaient suspendus aux branches. Le grand Canadien, debout à quelques pas du rivage, dans l’eau jusqu’au-dessus du genou, chargeait et tirait sans relâche ; il était calme et froidement passionné comme un vieux soldat devant l’ennemi. Il y avait dans ses mouvemens une précision et une aisance qui ressemblaient