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— Mon garçon, lui disait quelquefois son père, tu as tort de faire le sauvage. Quand viendra le moment de te marier, tu t’en repentiras. Vois Étienne… toutes les femmes raffolent de lui ! — Antoine ne répondait rien et chassait toujours.

Quelque temps après leur installation dans la forêt, les trois Canadiens eurent besoin de se rendre au village pour renouveler leurs provisions. La veille du départ, Antoine tua un chevreuil et le déposa dans la pirogue. — Ce sera pour le planteur et sa fille, dit-il à haute voix en enveloppant l’animal dans des feuilles de latanier ; ils nous ont bien accueillis à notre arrivée, et nous ne pouvons passer devant eux sans les en remercier.

— Bien pensé, mon garçon, répliqua le vieillard. Ah ! ce sont là de braves gens, généreux, prêts à obliger. Autrefois c’était ainsi qu’on recevait les voyageurs tout le long des fleuves ; mais aujourd’hui !… on trouve partout des Yankees, et ceux-là ne donnent rien pour rien, pas même un verre d’eau !

Au moment où ils amarraient leur pirogue devant l’habitation du planteur, Marie, qui les avait aperçus de loin, vint à leur rencontre. En voyant le grand Canadien qui s’avançait gravement, marchant d’un pas solennel et mesuré, son chevreuil sur les épaules, elle eut envie de rire. — Eh ! mon Dieu, monsieur Antoine, lui cria-t-elle, que portez-vous là !

— Un petit gibier que j’ai tué pour vous, répondit le chasseur.

— Pour nous ? répliqua la jeune fille. Mon père sera enchanté de votre attention ; c’est bien aimable à vous d’avoir pensé à lui… mais attendez donc un peu, que j’appelle un nègre ; je ne veux pas que vous portiez ce fardeau jusqu’à la maison.

Le nègre qu’on appelait se hâtait si lentement, qu’Antoine eut déposé le chevreuil sur la table avant que celui-ci fût arrivé, et les trois Canadiens se mirent en devoir de continuer leur voyage. Ils étaient convenus entre eux de ne point accepter cette fois l’hospitalité du colon ; dans leur amour-propre, ils tenaient à prouver que cette visite était tout-à-fait désintéressée. Le planteur, après avoir insisté pour qu’ils restassent jusqu’au lendemain, les laissa donc s’éloigner ; puis, quand ils furent sur le point de prendre le large : — Père Faustin, dit-il au vieillard, vous faites trop de façons avec un ancien ami ; vous me promettez sans doute de vous arrêter ici au retour, mais je ne vous crois pas, et il me faut un otage. Je retiens votre fils aîné ; les pigeons qui viennent du nord commencent à s’abattre en troupes autour des défrichemens, et les canards abondent sur les lacs. Antoine est bon tireur, je veux inaugurer la chasse d’hiver avec lui… Ainsi partez et laissez-le-moi.

— Ça va, dit le père Faustin en poussant sa pirogue d’un coup de gaffe