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colline solitaire assez loin de toute habitation ; pour que les Canadiens ne pussent voir la fumée d’un toit voisin surgir à travers le feuillage ; ils se réjouirent à la pensée que, dans leurs chasses, ils allaient avoir les coudées franches. Le chasseur est comme l’oiseau de proie, qui ne peut souffrir dans son voisinage aucun individu de son espèce.


III

Ce serait une erreur de croire que l’amour de l’ordre et du travail régulier qui anime les farmers du nord des États-Unis fût la passion dominante de nos Canadiens. Si quelques pieds de tabac, de maïs et de patates douces croissaient autour de leur cabane, ces résultats étaient dus à la fécondité du sol et à la douceur du climat bien plus qu’aux laborieux efforts des émigrans : le père Faustin et ses deux fils ne bêchaient la terre qu’à leurs momens perdus ; les excursions à travers les bois des bords de la rivière Rouge à ceux de la Sabine, la chasse, la pêche, voilà ce qui absorbait tout leur temps. Ils ne songeaient point à s’enrichir, mais à jouir d’une existence indépendante. Les petits blancs de race française, répandus dans toute l’Amérique depuis le Saint-Laurent jusqu’au Texas, ont toujours cherché à résoudre le problème de vivre en travaillant le moins possible. Ces hommes, fiers de leur couleur blanche, rejettent avec dédain tout ce qui peut, à un certain degré, les assimiler aux nègres. En revanche, ils n’ont point perdu le goût du plaisir et des jeux bruyans. La tradition de cette vie joyeuse au milieu des bois ne se conservait nulle part plus vivante que dans la Haute-Louisiane. À quelques lieues de l’habitation des Canadiens s’élevaient une douzaine de cabanes fort irrégulièrement semées à travers les défrichemens, et qui formaient le centre d’une petite colonie très pauvre, mais très insouciante et partant très heureuse. Étienne, le plus jeune des deux Canadiens, s’y rendait fréquemment, et, comme il savait tirer d’un violon quelques notes qui ressemblaient à des airs de contredanse, il devint bientôt le héros et l’ame de toutes les têtes. Son instrument n’était point un stradivarius, mais une simple pochette bonne tout au plus à faire sauter les Indiens à moitié civilisés du Bas-Canada, et que lui avait léguée un vieux maître à danser de Montréal. Quand Étienne passait l’archet sur les cordes de son petit violon, il n’y avait pas un créole qui n’abandonnât ses travaux ou n’interrompît sa sieste pour courir après lui.

Ces plaisirs n’étaient point du goût d’Antoine ; la vie des bois le fascinait. À la grande stupéfaction des jeunes filles du voisinage, il ne sortait guère de la forêt pour venir se mêler à leurs ébats. Les unes le trouvaient fier et sournois, les autres prétendaient qu’il était jaloux des succès de son frère.