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quelques épargnes sont allés acheter des terres dans les états du sud et de l’ouest. Ceux qui ne possédaient rien se sont avancés à la découverte à travers les forêts, vivant de gibier, cultivant çà et là quelques pieds de maïs dans les clairières imparfaitement labourées, et puis marchant encore entre les Américains qui défrichaient en grand et les sauvages qui reculaient devant eux. Il y en eut qui vécurent au milieu des Indiens, comme il arrive aux pigeons de fuie de se mêler aux ramiers qui passent. Quelque part qu’ils se trouvent, sur le territoire des États-Unis ou sur celui des possessions britanniques, dans les provinces du vieux ou du Nouveau-Mexique, ces gens-là et leurs descendans s’appellent obstinément Canadiens, ce qui, dans leur esprit, veut dire Français, et ils parlent encore pour la plupart la langue du pays qui les a si complètement oubliés. Ce qui distingue ces chevaliers errans du désert des pionniers américains, c’est qu’au lieu de marcher en masse et de front comme ceux-ci, ils s’avancent en éclaireurs et isolément.

À l’époque où les caboteurs abandonnaient la navigation des fleuves de la Louisiane, au commencement de l’année 182…, on vit arriver à N…, dernier village que l’on rencontrât sur la rivière Rouge en allant vers l’ouest, une grande pirogue montée par trois rameurs. Ils voguaient comme des gens habitués à voyager sur les fleuves, frappant l’eau en cadence avec leurs courtée pagayes, et filant droit devant eux, d’une pointe à l’autre, sans suivre les contours capricieux du rivage. Le soleil venait de se lever ; on était au printemps, et les coteaux se couvraient de cette riante verdure que le soleil de l’été fane si vite. Ce matin-là, il y avait beaucoup de monde sur le quai. On distribuait les lettres et les journaux apportés la veille au soir par le courrier, et les planteurs du voisinage, assis sur des bancs de bois devant les magasins, à l’ombre des acacias en fleurs, causaient en fumant leurs cigares. Les nègres roulaient à grand bruit sur le port les marchandises que de lourds chariots attelés de trois à quatre paires de bœufs amenaient de l’intérieur du Mexique ; les gens de couleur, afin sans doute de faire comprendre à leurs maîtres qu’ils les chargent d’une trop lourde besogne, ne font pas un mouvement sans crier, hurler et se démener comme des ames en peine. Çà et là on voyait aussi dans la foule quelques Indiens qui étaient venus à la ville apporter le produit de leur chasse. Ils n’avaient plus rien à faire, car l’heure du marché était passée, et ils avaient vendu leur gibier ; mais ils restaient là par désœuvrement, accroupis à l’ombre devant les maisons, silencieux, les yeux à demi fermés, comme des vautours qui ont pris leur repas et se reposent. Ils appartenaient aux tribus dispersées loin de là dans l’Arkansas, mais ne vivaient guère avec les familles de leur nation. Leur existence se passait à rôder autour des habitations, à poursuivre