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au soulagement des pauvres, au rachat des esclaves, à la libération des débiteurs insolvables et autres bonnes œuvres. C’est, à proprement parler, le budget de l’assistance publique. Abd-et-Kader a trouvé dans les zekkaet d’abondantes ressources, quand il prêchait et soutenait la guerre sainte, et aux yeux de ses coreligionnaires, c’était un devoir sacré de déposer en ses mains le denier de la foi.

On voit que les possesseurs de terres décimales seuls ont le droit d’en disposer comme de leur bien propre, et que les pays grevés du kharadj au contraire ont cessé d’être la propriété des anciens habitans, qui ne les gardent plus qu’à titre viager. Les quatre imâms s’en expliquent d’une manière formelle. Par le fait même de son passage à l’état tributaire, le territoire conquis, mais non partagé entre les vainqueurs, devient l’objet d’un wakf ou fondation pieuse. Le mot wakf correspond à l’idée d’immobilisation ; il annule le privilège de la propriété et fait rentrer le sol dans la grande communauté musulmane.

M. Worms, passant en revue l’Inde, la Perse, la Turquie, l’Égypte, a signalé partout l’application de ce principe ; puis, s’occupant spécialement de l’Algérie, il pose en fait que la plus grande partie du sol ; c’est-à-dire tous les terrains de grande culture où le travail se fait à la charrue, est wakf non-seulement depuis l’occupation des Turcs en 1519, mais à partir de la première invasion arabe. Les villes et leur banlieue, où le travail de la terre se fait à bras, sont seules soumises à la dîme et classées parmi les propriétés individuelles. Le domaine de l’état comprendrait donc plus des deux tiers du territoire algérien. Cette opinion est contraire à celle qui a été adoptée jusqu’à présent par l’administration française, qui a toujours considéré l’Algérie comme terre de dîme et par conséquent propriété incontestable des habitans. À vrai dire, les raisons sur lesquelles elle se fonde ne sont pas très péremptoires, et M. Worms les combat avec des citations et des argumens qui nous paraissent difficiles à réfuter. La publication du Mouktaç’ar en français, en permettant à chacun de contrôler les assertions contradictoires, nous paraît de nature à donner gain de cause au système de M. Worms.

Pour ce qui est du prélèvement de l’impôt, tout a été dit sur la pratique depuis long-temps suivie dans les pays musulmans. Les voyageurs et les écrivains qui ont parlé de l’Orient ont à ce propos déroulé les plus tristes tableaux corruption, exactions d’une part, ruine et misère de l’autre ; et pourtant, si l’on étudie sans préventions ce système, abstraction faite des mains chargées de le faire fonctionner, on n’en saurait sans injustice méconnaître le judicieux et facile mécanisme. La dîme étant établie sur la déclaration de chaque contribuable et le kharadj fixé par des cadastres fréquemment renouvelés, des collecteurs officiels opéraient la rentrée de ces deux sources du revenu public. L’imâm ou chef de l’état en faisait ensuite la répartition à l’armée, c’est-à-dire à la caste victorieuse, qui tout entière comptait sous les drapeaux. Plus tard, ce mode de recouvrement se transforma ; le domaine musulman fut divisé et donné à bail aux principaux officiers de l’armée, qui se chargèrent de lever les impôts moyennant un dixième pour salaire, et furent nommés moultezims (fermiers). Ces gens de guerre, receveurs des finances et chefs de la police, sont ceux que