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et son Mouktaç’ar est reconnu dans tout le Mar’reb comme le code le plus complet. C’est celui qui régit notre colonie d’Alger.

Le gouvernement a donc ordonné et confié la traduction du Mouktaç’ar de Khalil à M. Perron, le fondateur et le savant directeur de l’école de médecine d’Abou-Zabel, cette création éphémère de Méhémet-Ali, tombée après sa mort. Un séjour de quatorze ans au Kaire, une connaissance approfondie de la langue et de la science des Arabes, acquise par des rapports continuels avec leurs cheikhs et leurs oulémas, ont fait du docteur Perron un des maîtres les plus distingués dans les lettres orientales, et nul n’était plus que lui capable de mener à bonne fin cette laborieuse entreprise. Grace à l’intelligente décision prise par le ministère de l’instruction publique, nous aurons désormais une base certaine à donner à la législation spéciale que réclame notre établissement d’Afrique, et la science sera enrichie d’un monument dort les plus intrépides orientalistes n’avaient pas jusqu’ici osé aborder la traduction complète, rebutés qu’ils étaient probablement par l’ennui d’un travail de si longue haleine, et par les difficultés incroyables qu’il présente. Qu’on en juge. Le Précis de Khalil renferme environ cent mille propositions explicites et environ autant, d’implicites, c’est-à-dire trente fois plus que n’en contiennent nos codes réunis. Ces deux cent mille dispositions de la loi doivent être apprises par cœur par les étudians en droit et en théologie, et ce n’est qu’après qu’ils les possèdent à fond qu’ils en étudient les nombreux commentaires. Afin de rendre possible un aussi prodigieux travail de mémoire, l’auteur arabe s’est donc appliqué surtout à resserrer, à condenser son texte ; il a rogné, déchiqueté les phrases, multiplié les ellipses, entassé les sous-entendus. Pour lui, l’idéal eût été d’enfermer un article dans chaque mot, et peu s’en faut qu’il n’y soit tout-à-fait parvenu. En maint endroit, ce tour de force est accompli. De toutes parts, le sens déborde et éclate à travers les mots comme dans un vêtement trop étroit ; la pensée devance de bien loin la phrase attardée, et, dans ce déchiffrement d’hiéroglyphes, le plus robuste esprit se lasse, vaincu par une concision auprès de laquelle Tacite et Perse ne sont que d’interminables discoureurs. On s’explique ainsi, très bien comment Sidi-Khalîl mit un quart de siècle à parfaire son œuvre.

Pour l’artiste, aussi bien que pour le savant, la traduction complète du Mouktaç’ar sera une source d’informations précises et variées ; orientalistes, archéologues, légistes, peintres et poètes y pourront tour à tour abondamment puiser. Nous nous bornerons à indiquer, entre les plus curieuses parties, celles qui traitent des purifications, des cérémonies funèbres, du jeune, du mariage, du pèlerinage : ce sont de véritables études de mœurs ; çà et là même la pensée religieuse qui inspire la législation musulmane vivifie les formules de ces Pandectes arabes, et, malgré l’excessive sobriété que l’auteur s’est imposée, en fait, jaillir un certain sentiment poétique. Au point de vue spécial où nous nous sommes placé et à ne considérer que les applications utiles qu’on en peut faire au gouvernement et à l’administration de notre colonie d’Afrique, nous tenons cet ouvrage pour excessivement important ; il convient de le mettre en lumière en ce moment surtout où l’assemblée nationale s’occupe de préparer les lois spéciales qui doivent régir notre colonie, et nous pensons que la tâche de l’assemblée, comme celle de l’administration algérienne, serait singulièrement simplifiée