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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.
De la législation musulmane en Algérie.[1].

Une grande part de nos embarras en Algérie nous est venue d’avoir, au début de la conquête, méconnu des droits consacrés, froissé des mœurs séculaires, et surtout d’avoir bouleversé complètement, sans le savoir, l’assiette de la propriété territoriale, de telle sorte que l’administration et l’autorité judiciaire ne peuvent encore aujourd’hui l’établir avec certitude sur des bases légales et inattaquables. Lorsque Alger tomba en notre pouvoir en 1830, une politique prudente et équitable conseillait de laisser à la population conquise ses usages et ses lois : c’est ce qui fut admis en principe ; mais ces lois, nous ne les connaissions pas, et nous ne pouvions en faire l’application nous-mêmes ; force fut donc de confier ce soin aux Maures, qui, intéressés à nous rendre la victoire onéreuse et à contrarier toutes tentatives d’établissement durable dans leur pays, ont, avec la mauvaise foi africaine, créé et entretenu un désordre inextricable. Les bases de l’impôt ont été déplacées, les rapports de sujets à gouvernement altérés ; le principe fondamental de la propriété nous a été caché sous d’artificieux mensonges. Pour être juste et pour rendre à chacun sa part de responsabilité, on peut ajouter d’un autre côté que, si les Maures ont trompé et volé l’état, l’état, lui aussi, a eu bien des usurpations à se reprocher. La société musulmane, telle que nous l’avions trouvée, possédait, par exemple, des établissemens de charité publique, des fondations pieuses, dont on a saisi les revenus en les détournant de leurs anciens usages. Nombre d’hospices, d’écoles et de collèges n’ont pas tardé à disparaître. Il existait, en 1837, à Constantine des écoles d’instruction secondaire et supérieure, renfermant de six à sept cents élèves, où l’on enseignait le koran, l’arithmétique, la rhétorique, l’astronomie, la philosophie ; quatre-vingt-dix écoles primaires entretenaient en outre de treize à quatorze cents écoliers. Dix ans après, en 1847, les hautes études n’occupaient plus que soixante jeunes gens, et les écoles primaires, réduites à trente, n’étaient plus fréquentées que par trois cent cinquante enfans.

Nous avons causé toute cette perturbation par ignorance des coutumes et de la loi. Aux difficultés déjà considérables que présente l’étude de la langue arabe s’ajoutait la méfiance des indigènes, qui se sont constamment efforcés de nous interdire l’étude de leurs actes civils et de leurs codes législatifs. Là où la loi est un texte sacré, c’est un devoir pour tout vrai croyant d’en dérober la connaissance aux infidèles. En Algérie, le ressentiment de la conquête augmentait cette disposition commune à toutes les populations musulmanes, et c’est pourquoi il nous a fallu une armée de cent mille hommes et un budget de 100 millions pour contenir un pays qu’une poignée de Turcs gardaient avant nous sans conteste.

Aujourd’hui néanmoins ces ténèbres commencent à devenir moins épaisses, avec le temps elles finiront par s’éclaircir et disparaître ; des recherches et des

  1. Précis de Jurisprudence musulmane, par Khalil-Ibn, traduit de l’arabe par M. Perron, 3 volumes in-4o ; Paris, 1850. Imprimerie nationale.