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lez-vous par hasard, devant les Arabes, jouer au gouvernement représentatif, avoir un maire en lutte avec son conseil municipal, ou bien encore jouer à la garde nationale ? En Algérie, la garde nationale devient bien vite une milice sérieuse, et c’est pour cela qu’elle a besoin d’être commandée par des officiers sérieux. Pour gouverner les colonies agricoles, les officiers ont le titre qui de tout temps a conféré le pouvoir : ils défendent la colonie. Qui dit défenseur dit gouverneur. Cela est vrai en France et en Algérie.

C’était l’armée romaine qui, par ses grands travaux, changeait la face des provinces conquises ; c’est notre armée aussi qui, en Afrique, installe la civilisation, ou plutôt qui l’y ramène, car l’armée française, partout où elle s’avance en Afrique, y trouve les traces de son héroïque devancière, l’armée romaine. Il semble qu’il y ait comme une sorte de généreuse émulation entre ces deux armées dont la gloire vient dans les mêmes lieux se toucher à travers les siècles. Qui aura été le plus loin de l’armée française ou de l’armée romaine ? Qui aura bravé le plus de périls et vaincu le plus d’obstacles ? Dernièrement, une expédition française partait de Biscara et pénétrait dans la vallée de l’Oued-el-Abiod. Bientôt elle arrivait à un défilé formidable, le Kanga de Tighanimias, et nos chefs arabes affirmaient que la colonne ne pourrait point passer. Ils indiquaient même de longs circuits pour tourner le défilé. Cependant le général en fait la reconnaissance. Pendant six heures de travail obstiné, la pioche, le pic à roc, la mine, sont employés. Quarante sapeurs du génie et deux bataillons du 20e rivalisent d’adresse et d’ardeur. Le lendemain matin, en trois heures, la colonne passe sans difficulté ce mauvais pas, laissant derrière elle au bénéfice du pays une route bonne et durable. Nous croyions bien, écrit le général, passer là les premiers ; mais au milieu du défilé une inscription latine gravée dans le roc nous apprit que sous le règne d’Antonin-le-Pieux la 6e légion romaine avait montré ses aigles à ces mêmes rochers. « J’espère que nous avons au moins traduit l’inscription romaine et gravé notre traduction dans le roc. » La version cette fois vaut l’original.

En passant des affaires du dedans aux affaires du dehors, la première circonstance que nous rencontrons, c’est en Angleterre la mort de sir Robert Peel et les hommages que l’Angleterre et toute l’Europe rendent avec empressement à sa mémoire. Heureux homme en dépit de la précocité de sa mort ! heureux peuple malgré la grande porte qu’il a faite ! oui, heureux peuple, puisqu’il a encore cette vertu de la reconnaissance, qui, de toutes les vertus d’une société, est la plus rare et la plus salutaire, celle surtout qui témoigne le mieux de la vitalité d’un état. Les nations reconnaissantes ne meurent pas. Elles ont en elles l’instinct de la justice, et c’est à cause de cet instinct qu’elles rendent hommage aux grands hommes qui se sont dévoués à leur salut ou à leur gloire ; mais cet instinct de la justice leur révèle aussi les véritables conditions de l’ordre social, et elles s’y soumettent avec empressement. L’ordre dans l’état ne leur pèse pas plus que la gloire dans les hommes d’état, et elles se sentent fortifiées, honorées, et non pas gênées, par tout ce qui les soumet. Heureux donc sir Robert Peel d’avoir vécu et d’être mort au milieu d’un pareil peuple ! Mais aussi il a tout fait pendant sa vie pour conserver à ce peuple les qualités qui le rendent capable de supporter ses grands hommes. Il ne l’a jamais ni excité ni flatté.