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occupent, dans l’esprit et dans l’existence des riches et des puissans, la même place qu’y remplissait, il y a quelques siècles, la fondation des monastères ou la délivrance des lieux saints. Vienne donc la fraternité ! A titre de sentiment religieux pour celui-ci, de conviction philosophique pour celui-là, qu’elle prenne possession de la société en haut et en bas ; néanmoins elle ne contribuera efficacement à éloigner la misère du sein de la société qu’autant que les actes par lesquels elle se manifestera de préférence auront pour objet de fortifier chez les hommes le ressort moral. Dans la situation où est placée la société désormais, le plus grand service à rendre aux individus est de leur communiquer l’énergie morale qu’il faut pour bien porter la responsabilité de sa personne et celle de sa famille. Aider les hommes à s’élever à cette hauteur, c’est aussi rendre à la patrie un éminent service, quand bien même alors, pleins d’un sentiment quelquefois excessif de leur dignité, ils devraient se montrer plus empressés à revendiquer leurs droits qu’à témoigner leur reconnaissance par la soumission de leur attitude. L’humilité devant Dieu ne cessera jamais d’être une grande vertu, l’esprit de discipline sera toujours une qualité précieuse, l’obéissance à la loi devient de jour en jour plus recommandable, plus nécessaire ; mais le temps des cliens soumis et humbles est passé sans retour, qu’on se le persuade bien. Celui des concitoyens libres a commencé, et l’égalité civile est une clause désormais ineffaçable du pacte social. C’est de ce côté que les sociétés cherchent maintenant leur prospérité et leur grandeur.

Je m’arrête. Si l’exposé qui précède est exact, la diminution de la misère, par quelque côté qu’on la prenne, exige l’accroissement de la force morale dans chacune des grandes classes dont la société se compose. La misère ne lâchera du terrain que parce que la moralité publique aura étendu son domaine et l’aura forcée de reculer. Si, ainsi que je le crois et que j’ai essayé de le démontrer, le bien-être de la société peut très prochainement faire des progrès sensibles, c’est que le public est en état de pratiquer, mieux que plusieurs de nos lois ne le supposent, les vertus distinctives de l’homme civilisé, notamment la liberté et la justice. À chaque nouveau progrès dans l’ordre moral, la société recueillera de nouvelles palmes, dont l’une sera un nouveau degré d’amélioration dans son existence matérielle. Et si l’on m’objecte que, par la voie que j’indique, la disparition de la misère pourra être lente, je répondrai qu’elle sera lente ou rapide au gré des hommes eux-mêmes. Aidons-nous, le ciel nous aidera.


MICHEL CHEVALIER.