Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/352

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans votre constitution industrielle, vous allez admettre plus que quiconque la concurrence, aussi bien l’extérieure que l’intérieure. Vous reculez ? Votre prétention à la suprématie était de la rodomontade ; quel que vous ayez été, vous n’êtes plus fait que pour le second rang.

La responsabilité ne conduit pas à l’isolement absolu ; elle ne convertit pas l’homme, être éminemment sociable, en une sorte d’animal solitaire comme l’oiseau nocturne des psaumes de David, parce qu’elle n’est pas incompatible avec un autre sentiment qui nous rapproche de nos semblables. Béni soit l’esprit d’association ! il assistera puissamment les nations modernes dans leur entreprise de secouer la misère qui les dégrade. La responsabilité et la solidarité sont deux forces qui se prêtent un mutuel secours à peu près comme à l’armée la bravoure personnelle et la discipline. C’est par la puissance des mœurs qu’elles se développent et se mettent d’accord. Il faut que sans cesse elles se balancent et s’harmonisent. En marchant de concert, elles donneront à la société une souveraine puissance contre la misère. Au contraire, si elle se sépare de la responsabilité, la solidarité est antipathique à la liberté, l’association devient le communisme, la plus affreuse misère, la dégradation en tout genre. Pourquoi la solidarité des programmes socialistes est-elle détestable ? C’est qu’il faut lui immoler la responsabilité et par conséquent la liberté. Les socialistes attachent la solidarité aux flancs de l’individu de manière à ne lui laisser jamais la possession de lui-même ; c’est nier que l’homme soit quelqu’un pour ne plus voir dans l’humanité qu’un bloc ou des groupes[1]. Et, au lieu de faire découler la solidarité de la libre volonté des individus, la plupart des socialistes lui donnent la loi pour origine, l’état pour promoteur et pour agent ; de ce qui devrait être un appui pour la liberté, ils font un instrument de despotisme.

La responsabilité individuelle, qui remet à chacun la charge de soi-même, n’exclut pas non plus la vertu chrétienne par excellence, la fraternité. Le rôle que la fraternité a joué dans le monde est immense ; celui qui lui reste encore est magnifique. C’est elle qui a préparé et doit préparer sans cesse les ames à la pratique de la justice ; c’est elle qui a préservé et préservera encore la liberté humaine de bien des faux pas. C’est elle qui a suscité les plus heureux changemens qui soient survenus dans la société, ou qui les a maintenus après que le hasard, derrière lequel se cache souvent la bonté de la divine Providence, leur avait ouvert la porte. Présentement elle est appelée à faciliter le rétablissement de la paix sociale par le témoignage qu’elle donnera aux classes ouvrières des bons sentimens des classes riches ou aisées. Il est indispensable aujourd’hui que les pensées d’amélioration populaire

  1. Les communistes font de l’humanité un bloc ; Fourier en fait des groupes.